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Renoncer au Pacte Vert et à la CSRD, c’est renoncer à l’ambition et l’influence de l’Union européenne
28/02/2025

Le Pacte Vert européen et la CSRD sont les symboles de la troisième voie européenne, face à la Chine et aux Etats-Unis, d'une Europe puissance capable de protéger son modèle social. Y renoncer, c'est renoncer aux ambitions et à l'influence de l'Union européenne, expliquent Alexandre Rambaud et Pascal Durand, dans une tribune sur Novethic, signée par une quinzaine de dirigeants économiques, scientifiques et politiques.
La période 2019-2024 a vu naître une ambition majeure au sein de l’Union européenne (UE), en adéquation avec ses aspirations historiques de définir une 3e voie en termes de gouvernance économique et notamment d’entreprises. Cette ambition est celle du Pacte Vert européen et cette 3e voie, celle d’une entreprise centrée sur une performance globale, alliant performances économiques, sociales et environnementales.
C’est dans ce contexte qu’a émergé le principe de la double matérialité, principe selon lequel une entreprise doit "prendre en compte" non seulement les impacts de l’environnement (social et naturel) sur sa création de valeur mais également les impacts qu’elle occasionne à cet environnement.
Deux époques, deux ambiances
Et c’est aussi dans cette ambiance qu’ont été adoptés plusieurs textes majeurs définissant le cadre nécessaire pour l’ambition européenne en matière de développement socio-économique, comme le règlement Taxonomie (permettant d'identifier les activités durables) ou encore la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive).
Ces textes ont pour objet commun de donner une cohérence et une orientation clarifiée à la stratégie non seulement économique mais aussi géopolitique de l’Union européenne. Comme le rappelait le ministre de l’Europe et des affaires étrangères en 2021, juste avant la présidence française du Conseil de l’UE, "[…] l’avenir de l’Europe est géopolitique […] Mais […] ce réveil géopolitique européen serait incomplet si nous ne travaillions pas, aussi, parallèlement à ce chemin d’autonomie stratégique et de souveraineté, à construire la voie d’une nouvelle géopolitique : une nouvelle géopolitique de l’influence ; une nouvelle géopolitique des biens communs ; une nouvelle géopolitiqueu des valeurs " : la 3e voie européenne portée par le Pacte Vert est ainsi bien celle d’une géopolitique de la durabilité, du commun, des valeurs.
Et de nombreux pays ne s’y sont pas trompés. Le Botswana, un des pays africains les plus stables financièrement, a ainsi mis en place des règles de reporting de durabilité basées sur le cadre européen. La Chine elle-même a adopté le principe de double matérialité en 2024 dans sa propre stratégie nationale de politique durable, soulignant le caractère déterminant de ce principe pour l’économie de demain. L’UE a ainsi posé les bases de cette 3e voie… jusqu’à aujourd’hui.
Ces derniers mois ont en effet vu se succéder des annonces alarmantes sur le devenir de cette politique d’ambition. Regroupées autour de la bannière de la "compétitivité", de nouvelles orientations stratégiques ont vu le jour ainsi que plusieurs propositions de "simplifications" de textes issus du Pacte Vert - à commencer par la CSRD.
Au Pacte Vert (Green Deal), vont ainsi peut-être succéder la Boussole de compétitivité de l’Union européenne, le règlement omnibus, le Clean Industrial Deal, etc. Alors que le Pacte Vert fondait la compétitivité sur la durabilité, ces évolutions semblent vouloir inverser le raisonnement : la durabilité serait une entrave à la compétitivité ou au mieux un enjeu secondaire… La Boussole de compétitivité va même jusqu’à proposer de revenir sur certains fondements de la double matérialité, en re-focalisant la performance sur celle du seul investisseur.
Ces propositions sont évidemment à comprendre dans le contexte d’un "backlash" historique auquel de nombreux pays font face, ainsi que du retour d’une géopolitique agressive et chaotique. Mais renier ces principes historiques, abandonner la stratégie qui rendait possible d’influencer une nouvelle voie internationale, suivre certains Etats dans leurs logiques économiques et politiques mortifères, et finalement confiner la compétitivité dans une conception anachronique en dehors de toute lecture géostratégique, est-ce le meilleur moyen de répondre aux inquiétudes actuelles ?
Ne pas confondre amélioration et aliénation…
Il ne s’agit pas d’éviter toute critique du Pacte Vert et en particulier de la CSRD. Tout est perfectible et doit être soumis à la critique constructive. Les règles et coûts d’audit, le nombre de points de données, les seuils d’application de la CSRD, et surtout l’accompagnement des entreprises, sont autant de questions qu’il est nécessaire d’appréhender (et qui le sont). Néanmoins, l’état du débat sur ces enjeux aujourd’hui relève plus de prétextes pour enterrer des parties substantielles de la CSRD plutôt que propositions de pistes d’amélioration réelles. Comment peut-on ainsi prétendre que les entreprises seraient soumises, du fait de la CSRD, à un millier de points de données de reporting quand ce millier de données n’est qu’une grandeur théorique et non concrètement mobilisé sur le terrain du fait d’analyses de matérialité, notamment ? Un prétexte pour enterrer… ou pour aliéner la stratégie européenne.
En voulant calquer les ambitions européennes sur le cadre économique des Etats-Unis, notamment, n’est-on pas en train de perdre notre propre souveraineté économique ? Notre propre ambition ? Des voix s’élèvent par ailleurs pour calquer également le reporting de durabilité de l’UE sur celui de l’ISSB, en adéquation avec l’idée d’abandonner la double matérialité et de s’aligner sur les normes IFSR S - indûment présentées par l’ISSB comme le cadre standard de normes comptables de durabilité à l’international.
Rappelons que l’ISSB est un organisme de droit privé, publiant des normes alignées sur les seuls marchés financiers, et que la précédente adoption des normes IFRS (en comptabilité financière) en 2002 par l’UE a entraîné une perte de souveraineté comptable inédite. Les travaux préparatoires aux ESRS (normes de durabilité internes à la CSRD) avaient notamment comme visée de ne pas reproduire le même schéma de subordination de l’UE aux normes IFRS dans le contexte des enjeux de durabilité : trois ans plus tard, serions-nous prêts à aliéner à nouveau l’UE à des normes privées, que les Etats-Unis n’ont d’ailleurs jamais adoptées, y compris dans le cadre financier, pour des raisons notamment de souveraineté (justement) – donnant au passage une réelle leçon de géopolitique économique ?
A la croisée des chemins
Il nous appartient de ne pas céder et de comprendre que ce qui est en jeu actuellement n’est pas simplement une remise en question de textes réglementaires, de normes comptables - dont beaucoup d’acteurs extérieurs à l’entreprise peinent malheureusement à comprendre l’importance décisive -, mais bien d’une vision, d’une ambition, d’une stratégie fondatrice de l’UE. L’abandonner est évidemment dérailler d’une trajectoire de développement écologiquement crédible, mais c’est aussi renoncer à la 3e voie européenne et souveraine, à une influence géopolitique renouvelée et innovante et à la seule façon de concevoir la compétitivité de demain.
La Chine prendra sans doute le relais à notre détriment…
Signataires :
Hélène Bernicot, co-présidente de la Communauté des Entreprises à Mission
Bruno Colmant, docteur en économie appliquée
Pascal Durand, ex-eurodéputé français, rapporteur de la CSRD au Parlement européen
Benoit Hamon, président d'ESS France, ancien ministre de l'Economie sociale et solidaire
Mathieu Hetzer, président du Centre des Jeunes Dirigeants
Ute Meyenberg, secrétaire nationale CFDT Cadres
Clément Morlat, président du CERCES (Cercle des comptables environnementaux & sociaux)
Caroline Neyron, directrice générale du Mouvement Impact France
Thierry Philipponnat, chef économiste de Finance Watch
Dominique Potier, député français
Alexandre Rambaud, maître de conférences à AgroParisTech -CIRED, co-directeur de la chaire "Comptabilité Ecologique"
Jérome Saddier, président de Coop Fr
Olivier De Schutter, professeur à UCLouvain et Sciences Po et rapporteur spécial de l’ONU sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté
Philippe Vachet, directeur général de l'Agence Lucie
Pierre Victoria , ancien Président de la Plateforme RSE