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Les déchets agricoles, solution pour décarboner le secteur du bâtiment et aider les agriculteurs ?

25/02/2025

Les déchets agricoles, solution pour décarboner le secteur du bâtiment et aider les agriculteurs ?

La moelle de tige de tournesol présente des propriétés exceptionnelles en matière d’isolation. BonnieKittle/Unsplash, CC BY-NC-SA

Les matériaux biosourcés, fabriqués en partie ou entièrement à partir de biomasse, sont largement encouragés par la réglementation environnementale européenne RE2020 afin de diminuer l’impact environnemental du secteur du bâtiment, mais leur usage peine à décoller. Certains déchets agricoles issus des cultures de lin ou de tournesol présentent des caractéristiques prometteuses, en particulier pour l’isolation. Ils pourraient apporter en outre un revenu complémentaire aux agriculteurs.

Le secteur de la construction représente à lui seul 36 % de la consommation énergétique mondiale et 40 % à l’échelle européenne. Il est également responsable de près de 40 % des émissions globales de dioxyde de carbone (CO2). C’est donc un secteur clé pour atteindre l’objectif de neutralité climatique que s’est fixé l’Union européenne d’ici à 2050, et qui requiert une transition écologique à la fois rapide, pérenne et efficace.

Dans ce contexte, les matériaux biosourcés se révèlent de plus en plus pertinents avec l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation environnementale (RE2020) sur le territoire français, depuis le 1er janvier 2022. Ces matériaux, selon la définition de l’Ademe, sont des produits partiellement ou entièrement issus de biomasse. Dans le secteur de la construction, ils sont particulièrement remarquables pour leur faible impact environnemental, et leurs bonnes performances en matière d’efficacité énergétique et de confort d’été.

Pourtant, leur utilisation demeure à ce jour limitée : les isolants biosourcés comptent pour moins de 10 % du marché. Alors que le Salon international de l’agriculture s’ouvre le 22 février à Paris, intéressons-nous au rôle que peut jouer l’agriculture dans le développement de ces matériaux qui permettraient de faire d’une pierre deux coups en valorisant des coproduits agricoles qui présentent un excellent potentiel en matière d’isolation.

Des matériaux doublement performants

Penchons-nous d’abord sur les caractéristiques de ces matériaux : les particules végétales qui y sont incorporées sont extrêmement poreuses, ce qui offre de bonnes propriétés d’isolation. Plus le végétal est poreux, plus il isole, grâce à la faible conductivité thermique de l’air emprisonné dans les petites cavités du végétal – cavités qui servent à faire circuler les nutriments lors de la phase de croissance de la plante quand elle est cultivée au champ, et qui se remplissent naturellement d’air une fois cette dernière récoltée.

La chènevotte, par exemple, coproduit du chanvre textile, atteint des porosités de l’ordre de 80 % : cela explique l’engouement récent pour l’isolation en vrac (pour des combles perdus ou des planchers intermédiaires, par exemple) ou encore le béton de chanvre, utilisé en remplissage d’une ossature bois.

Contrairement aux matériaux dits « conventionnels » (laine de roche, polystyrène…), la nature organique des particules végétales leur confère en outre des propriétés dites « hygroscopiques ». Elles régulent naturellement l’humidité de l’air ambiant, sans aucun apport d’énergie. Cela limite la consommation d’énergie pour le chauffage et la ventilation mécanique contrôlée (VMC), tout en contribuant à la qualité de l’air intérieur.

Cette faculté, aussi intéressante que surprenante, s’expliquerait par la forte teneur en cellulose des granulats végétaux au sens large et des coproduits agricoles en particulier.

Utiliser des coproduits agricoles locaux

Le chanvre est toutefois loin d’être disponible en grande quantité et sur tous les territoires. D’où l’idée, assez récente, de valoriser les coproduits agricoles de différentes cultures telles que le lin, le blé, le riz ou encore le tournesol, afin de construire à partir de ressources locales.


Panneau isolant 100 % biosourcé (à base de moelle de tournesol) et développé dans le cadre de la thèse de Séverine Latapie. Séverine Latapie, Fourni par l'auteur

Le tournesol, en plein essor, attire l’attention. Il a l’avantage d’être largement cultivé en Europe, et partout dans le monde. C’est en outre une plante peu sensible au stress hydrique, un atout important vis-à-vis des climats futurs.

Enfin, la partie centrale de la tige (dite moelle), non utilisée par l’industrie agroalimentaire qui récolte et transforme la partie florale pour produire l’huile de tournesol, affiche une porosité qui frôle les 95 %. Logiquement, cela lui confère des propriétés d’isolation exceptionnelles.


Image MEB d’un échantillon de mousse de polystyrène extrudé à gauche et de moelle de tournesol à droite. Thèse de A.Kaemmerlen 2009 et article de Zhang et coll., 2022, Fourni par l'auteur

Les images ci-dessus soulignent d’ailleurs la grande similitude entre la moelle de tournesol et le polystyrène à l’échelle microscopique. De là à dire que la nature semble avoir créé seule ce que l’homme fabrique à partir d’une ressource non renouvelable (pétrole), il n’y a qu’un pas !

Outre leurs vertus écologiques, ces matériaux revêtent un intérêt socio-économique, en tant que ressource non exploitée par les agriculteurs. Bien qu’une partie de la plante laissée au champ après récolte serve à fertiliser les sols, on peut imaginer que la partie exploitable – et donc valorisable – constitue une possible source de revenus supplémentaire pour les exploitants agricoles.

Cela pourrait être une solution à creuser face à la crise agricole qui touche le territoire.

Devant le potentiel incroyable de ces écomatériaux, pourquoi les maisons en béton de lin et les écoles isolées par de la moelle de tournesol ne fleurissent-elles pas à tous les coins de rue ?

La réponse est simple : nous manquons encore de recul sur ces matériaux pour qu’ils remplissent tous les critères d’assurabilité.

Une course contre la montre

Paradoxalement, certains matériaux biosourcés employés depuis des millénaires ont été peu étudiés par le monde de la recherche, qui ne s’intéresse aux écomatériaux que depuis une vingtaine d’années. Prenons le cas du torchis : la technique est connue, elle était déjà utilisée il y a plus de 7 000 ans par les Celtes pour la construction de leur habitat !

L’enjeu, pour la communauté scientifique, consiste donc à confirmer l’intérêt de ces matériaux dans le contexte actuel.

Tandis que la filière chanvre se développe peu à peu, notamment grâce à la validation récente de règles professionnelles pour le béton de chanvre, il s’agit de démontrer la pertinence et la fiabilité de matériaux valorisant d’autres coproduits agricoles pour pouvoir favoriser leur utilisation à large échelle dans le secteur du bâtiment.

Les premiers essais sur des bétons végétaux obtenus par incorporation de particules végétales comme le lin ou le miscanthus, par exemple, ont donné des résultats très encourageants. Outre les propriétés thermohydriques évoquées précédemment, ils révèlent des comportements très similaires au béton de chanvre sur d’autres aspects comme l’isolation acoustique, la résistance au feu, la résistance aux rongeurs ou encore une certaine biodégradabilité.

La communauté scientifique s’engage aujourd’hui dans une course contre la montre pour que nous mettions au plus vite ces techniques précieuses – et parfois déjà éprouvées dans le passé – au service d’un habitat plus sain, plus écologique et plus performant.

theconversation


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