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Plus de 1 600 espèces menacées de disparition en France ne sont pas protégées
23/06/2024
L'ange de mer commun, pourtant classé « en danger critique » en France, figure parmi les espèces les moins protégées. © aquapix
Dans une étude croisant la liste rouge nationale des espèces menacées avec les arrêtés de protection, l'UICN montre que 56 % des espèces menacées de disparition ne bénéficient d'aucune protection. Elle recommande un renforcement de la réglementation.
Un gros décalage entre la vulnérabilité des espèces et leur protection réglementaire. C'est ce qui ressort de l'analyse effectuée par le comité français de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) dans une note de positionnement (1) rendue publique ce jeudi 13 juin.
S'appuyant sur une centaine d'experts de sa commission de sauvegarde des espèces, l'organisation a croisé, d'une part, la liste rouge des espèces menacées en France, dont elle est chargée de l'élaboration avec l'unité Patrinat (OFB-MNHN-CNRS-IRD) et, d'autre part, les arrêtés ministériels et préfectoraux de protection des espèces. Les résultats sont édifiants : 1 600 espèces sur les quelque 2 900 menacées de disparition sur le territoire national ne bénéficient pas de statut de protection, soit 56 % des espèces menacées.
L'analyse montre toutefois de grandes disparités, à la fois entre groupes d'espèces et entre territoires. « Une grande partie des mammifères, des oiseaux, des reptiles ou des amphibiens bénéficient du statut d'espèces protégées, contrairement aux poissons, aux invertébrés ou aux plantes, qui ne sont protégés qu'en faible proportion », souligne le comité français de l'UICN. À l'échelon territorial, la proportion d'espèces menacées d'extinction protégées est plus faible en Guadeloupe (19 %), Martinique (25 %) et Polynésie française (38 %) qu'en métropole (41 %). Elle est plus forte à La Réunion (42 %) et en Guyane (77 %).
© Comité français UICN
Étendre le périmètre des arrêtés de protection
Face à ce décalage, les auteurs de la note formulent plusieurs recommandations en vue de renforcer la protection réglementaire des espèces en cause. En premier lieu, le comité français de l'UICN préconise d'étendre le périmètre des arrêtés de protection à l'ensemble des espèces menacées. C'est-à-dire à celles qui appartiennent à l'une des trois catégories suivantes au sens de la liste rouge : en danger critique, en danger et vulnérables.
Cette couverture réglementaire doit permettre de prévenir les risques de disparition d'espèces et d'accroître les chances de rétablissement, en particulier pour les groupes et les territoires les moins protégés actuellement. « Parmi les espèces concernées, l'ange de mer commun (…) est classé "en danger critique" en France et interdit de pêche dans les eaux européennes. Mais il n'est listé dans aucun arrêté de protection, alors qu'il fait aussi face à des menaces de dégradation de son habitat, liées en particulier aux aménagements côtiers. Le romarin bord-de-mer, un arbrisseau aux fleurs blanches ou rose pâle considéré comme très rare en Guadeloupe, est, quant à lui, classé "en danger" dans ce territoire, sans y être protégé », illustre la note.
« La détermination des priorités d'action pour la conservation des espèces implique la prise en compte d'éléments complémentaires aux statuts de menace, tels que : le niveau d'endémisme et la responsabilité nationale pour chaque espèce, les caractéristiques biologiques, l'originalité évolutive, le rôle et les fonctions dans l'écosystème, le caractère dit "parapluie", etc. », précise toutefois le comité français de l'UICN.
“ Une grande partie des mammifères, des oiseaux, des reptiles ou des amphibiens bénéficient du statut d'espèces protégées, contrairement aux poissons, aux invertébrés ou aux plantes, qui ne sont protégés qu'en faible proportion ” - Comité français de l'UICN
En second lieu, les auteurs recommandent d'inclure dans les arrêtés de protection les espèces « quasi menacées ». « Cette préconisation prévaut pour les espèces présentant des particularités écologiques (croissance lente, faible taux de reproduction, maturité sexuelle tardive, migratrices, etc.) les confrontant à un risque important de voir leurs populations diminuer rapidement, ou concernées par de forts enjeux de conservation (espèces endémiques) », indique l'organisation.
Intégrer systématiquement la protection des habitats
Le comité français de l'UICN n'exclut pas la prise d'autres mesures de protection qu'un arrêté de protection des espèces lorsqu'il est démontré qu'elles sont « plus adaptées et efficaces », notamment des mesures de protection stricte des habitats. Il recommande d'ailleurs d'intégrer systématiquement la protection des habitats dans les arrêtés de protection des espèces. « La disparition et la dégradation des habitats font partie des premiers facteurs augmentant le risque d'extinction des espèces », justifient-ils. C'est le cas, par exemple, des poissons d'eau douce qui subissent de plein fouet les pressions sur les cours d'eau. « D'autres groupes taxonomiques particulièrement affectés par la destruction de leurs milieux naturels mais dont la protection des habitats n'est que rarement assurée dans les arrêtés sont les crustacés, les mollusques, ou encore les plantes vasculaires (fougères et plantes à graines) », indique la note.
Les auteurs demandent également de prendre en compte les particularités du cycle biologique et les exigences écologiques des espèces dans la définition des habitats à protéger. « Par exemple, les zones de nourrissage des mammifères marins sont des zones clés pour la conservation des espèces fragiles qui peuvent y subir de fortes pressions. Pour autant, à ce jour, elles ne sont incluses dans aucun arrêté de protection », déplorent les auteurs.
Des arrêtés déconnectés de l'état des connaissances scientifiques
En dernier lieu, le comité français de l'UICN recommande l'actualisation des arrêtés de protection qui ne sont plus en phase avec l'état des connaissances scientifiques. Dans le viseur de l'ONG : les arrêtés interministériels du 20 janvier 1982, du 8 décembre 1988 et du 23 avril 2007 fixant respectivement la liste des espèces végétales, de poissons, d'insectes et de mollusques protégées sur l'ensemble du territoire national.
Parmi les groupes d'espèces concernés par ce défaut d'actualisation figure, par exemple, l'agrion joli, « une libellule au corps annelé de bleu et de noir, classée "vulnérable" et non protégée ». Outre ces actualisations, les auteurs préconisent de prendre de nouveaux arrêtés pour protéger les araignées (170 espèces menacées sur 1 622 recensées), les raies et requins (11 espèces menacées d'extinction), et les champignons (28 espèces de bolets, lactaires et tricholomes menacées ou quasi-menacées) sur l'ensemble du territoire métropolitain.
Le comité français de l'UICN estime toutefois insuffisante la protection réglementaire des espèces et préconise de l'accompagner par d'autres mesures, parmi lesquelles la réduction des pressions affectant la biodiversité, une extension des aires protégées, la mise en place de plans nationaux et régionaux d'action, le renforcement des contrôles, le renforcement des conditions d'octroi des dérogations, ainsi qu'un accroissement des moyens techniques et financiers.
Et ce, d'autant que le Gouvernement a pris des engagements sur le plan international. « Le renforcement de la protection des espèces est essentiel pour que la France atteigne d'ici à 2030 l'objectif de stopper l'extinction des espèces menacées connues sur son territoire, auquel elle s'est engagée dans le cadre de la Convention sur la diversité biologique », rappelle en effet Maud Lelièvre, présidente du Comité français de l'UICN.
1. Télécharger la note de positionnement du comité français de l'UICN
Laurent Radisson / actu-environnement