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À Dijon, un écosystème complet pour la mobilité hydrogène

17/10/2024

À Dijon, un écosystème complet pour la mobilité hydrogène

La station alimente les bus et les bennes à ordures ménagères à hydrogène de Dijon Métropole.     © Nadia Gorbatko

Après toute une série de retards, l'écosystème hydrogène de la métropole de Dijon a été inauguré en juin dernier. Retour sur une entreprise de coconstruction volontariste, émaillée de quelques déconvenues dues au manque de maturité du marché.

À l'arrière, un électrolyseur d'un mégawatt de puissance, des conteneurs de déminéralisation de l'eau et des équipements de stockage. À l'avant, quatre bornes de recharge, dont une pour les véhicules légers (700 bars) et trois pour les véhicules lourds (350 et 700 bars). Mais surtout, une nuée d'élus, de fonctionnaires et d'acteurs économiques à la mine réjouie. Le 24 juin dernier, après cinq longues années d'attente, la métropole de Dijon inaugurait enfin sa première station d'hydrogène, sur une parcelle de 9 000 mètres carrés, tout au nord de l'agglomération. L'infrastructure complète (fabrication et distribution) dispose d'une capacité de production de 430 kg d'hydrogène par jour, 18 kg par heure. De quoi ravitailler une vingtaine de véhicules lourds quotidiennement.

Essentiellement alimentée « en circuit court » par l'électricité turbinée par l'usine d'incinération des déchets voisine, qui valorise 92 % des ordures ménagères du département, la station est théoriquement ouverte à tous les usages. Objectif : réduire de 1 200 tonnes par an les émissions de CO2, soit l'équivalent de 10 millions de kilomètres effectués en voiture citadine à moteur thermique, puis de 4 000 tonnes à plus long terme. En réalité, s'il peut compter Enedis et Engie parmi sa clientèle pour deux véhicules légers, l'équipement approvisionnera surtout, dans un premier temps, les bennes à ordures et les futurs premiers bus à hydrogène de la métropole. La collectivité prévoit de disposer d'une flotte de 22 bennes et d'une soixantaine de ces bus en 2030. À condition, bien sûr, que tout se déroule enfin comme prévu. Car jusqu'à aujourd'hui, le projet aura connu quelques périodes de calages moteur.

Des perspectives attirantes

Lorsque la métropole se lance, en 2019, l'écosystème hydrogène national sort en effet à peine de la préhistoire. En juin 2018, Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique, vient péniblement de décrocher un budget de 100 millions d'euros par an pour accompagner cette technologie mal connue. Il faudra attendre deux ans de plus pour qu'une réelle stratégie nationale pour le développement de l'hydrogène décarboné soit mise en forme, en France, et dotée d'une enveloppe de 2 milliards d'euros (Md€) lors de son lancement, avant d'atteindre 7 Md€ d'ici à 2030. Mais les élus de la collectivité dijonnaise, eux, jugent déjà cette démarche pertinente.

« À partir de 2021, nous allions disposer librement de l'électricité produite par le turbo-alternateur de notre usine d'incinération d'ordures ménagères exploitée en régie et nous avions l'obligation de décarboner notre flotte de bus dans un délais relativement bref, explique Jean-Patrick Masson, vice-président de la métropole chargé des réseaux et des déchets. Dans une perspective d'économie circulaire, il nous a semblé intelligent de le faire également pour nos bennes à ordures, grâce à l'hydrogène fabriqué à partir de l'électricité de cette usine. » 

Obligations légales et marché émergent

En France, les agglomérations de plus de 250 000 habitants sont dans l'obligation réglementaire de consacrer une partie de leurs achats de bus à des véhicules zéro émission, électriques à batterie ou à hydrogène : un quart de leurs nouveaux bus depuis juillet 2022, la moitié à partir du 1er janvier 2025.

Dès 2030, 90 % des bus urbains vendus devront être zéro émission, 100 % en 2035. En mai 2024, on dénombrait 58 bus à hydrogène standards et articulés en circulation en France, répartis sur une dizaine de villes ou agglomérations.

Selon France Hydrogène, les commandes passent désormais à l'échelle et ce chiffre devrait atteindre 550 rapidement, puis le millier dans les prochaines années.

Le nombre de modèles commercialisés aurait triplé depuis les premiers déploiements en 2019, atteignant la dizaine en 2024, avec des prix se rapprochant des véhicules 100 % électriques.

La métropole souhaite par ailleurs préserver la mécanique bien huilée des tournées de ses bennes (trois dans la journée) et de la circulation de ses bus en continu, de 5 heures à 1 heure du matin, grâce à l'autonomie offerte par les piles à combustible : 300 kilomètres pour les véhicules lourds, rechargés en moins de vingt minutes, contre 180 kilomètres avec une batterie électrique, rechargée en quatre heures, et 300 à 650 km pour les véhicules légers, rechargés en trois à cinq minutes. « Si nous avions choisi de passer à l'électrique, nous aurions dû scinder nos lignes qui sont relativement longues. Il nous aurait fallu 30 % de bus en plus et davantage de chauffeurs. Cela nous serait revenu plus cher », précise Jean-Patrick Masson.

Une multitude de pièces maîtresses

Rapidement, un premier partenaire se présente : Rougeot, bientôt racheté par Inthy, spécialiste d'infrastructures de production et de distribution d'énergies renouvelables, qui devient le maître d'œuvre de cette « station Nord » et assure la mission d'assistant maître d'ouvrage. Dans la foulée, le binôme crée la société Dijon Métropole Smart EnergHy (DMSE) pour gérer le site, rejointe ensuite par Engie Solutions pour l'exploitation, l'entretien du site et le suivi de la performance, et par Ademe Investissement. L'entreprise est détenue par Engie à 40,55 %, Inthy à 25,22 %, Dijon Métropole à 24,23 % et Ademe Investissement à 10 %.

DMSE portera les investissements de la station et se rémunèrera par la vente d'hydrogène. La métropole, de son côté, se réserve l'aménagement des ateliers de maintenance et l'achat des flottes. Ses deux exploitants, Keolis pour le réseau de transport en commun (Divia) et Dieze pour la collecte des ordures ménagères, apportent leur éclairage pour la sélection des modèles. McPhy est choisi pour concevoir et mettre en place l'infrastructure. Tous ces partenaires, auxquels s'ajoutent les services de la métropole, les entreprises du BTP ou le Bureau Veritas pour la maitrise des risques et la conformité réglementaire forment une gigantesque équipe de coconstruction du projet. « Nous avons travaillé avec toutes les parties prenantes, à 80 personnes, parfois davantage, pour structurer l'ensemble des relations et des architectures, le vrai défi étant que les bus sortent à l'heure et circulent correctement », souligne Dominique Darne, président d'Inthy.

Si nous avions choisi de passer à l'électrique, il nous aurait fallu 30 % de bus en plus et davantage de chauffeurs, ce qui nous serait revenu plus cher ” 

Jean-Patrick Masson, Dijon Métropole

Évalué à 100 millions d'euros, à raison de 70 % pour la station et 30 % pour les flottes, ce projet pionnier ne peut voir le jour que grâce à des subventions. Elles totaliseront 24 millions d'euros (M€), dont 13,6 M€ pour la construction de la station Nord, puis d'une seconde au sud : 11,6 M€ de l'Ademe, 9 M€ de l'Union européenne, 2,6 M€ de la Région Bourgogne Franche Comté. La Banque des territoires soutient également l'écosystème métropolitain à hauteur de 7 M€ sous la forme de prêts pour les deux stations et la Banque européenne d'investissement (BPI) à hauteur de 5 de M€ pour l'acquisition des bus.

Retards en série

Mais malgré l'assurance affichée par les industriels, le calendrier se rallonge de deux ans. Procédure industrielle pas encore normée, la mise au point de l'électrolyseur par McPhy, notamment, s'avère compliquée. « Nous n'ignorions pas que nous en étions encore au stade de la R&D. Mais en raison du manque de maturité du marché, les difficultés ont été plus importantes que prévues », commente Jean-Patrick Masson. La rareté des fournisseurs – un seul existant alors pour les bennes à ordures, E-Truck –, laisse peu de marge de manœuvre au donneur d'ordres et étire les délais de livraison.

Des difficultés stigmatisées par les élus d'opposition (Les Républicains et Nouveau Centre) qui réclament « d'arrêter les frais » dans un communiqué, le 1er février dernier, et qui rappellent que d'autres collectivités ont déjà fait machine arrière. « Non seulement les délais ne sont pas tenus pour les livraisons des électrolyseurs, bennes à ordures ménagères et bus à hydrogène (…), mais le matériel qui est arrivé ne fonctionne pas », tempêtent-ils, présentant l'hydrogène comme « « la solution la plus coûteuse en investissement, en exploitation et en maintenance, avec la plus mauvaise efficacité énergétique ».

Comble de malchance, si deux premières bennes sur quatre ont finalement bien été réceptionnées en novembre 2023, le constructeur de bus Van Hool fait faillite, en avril dernier, un mois avant la livraison des seize premiers bus de 12 mètres promis. Pas de quoi cependant décourager la majorité. « Chaque initiative de cette envergure comporte des obstacles qu'il convient de surmonter », relativise François Rebsamen, maire de Dijon et président de Dijon Métropole. « Si nous avons été autant subventionnés, c'est justement parce qu'il y avait un risque », ajoute Jean-Patrick Masson.

Une stratégie révisée

La métropole va donc lancer sa consultation pour l'achat de 26 nouveaux bus, articulés cette fois, et relancer un appel d'offres pour le premier lot non fourni. « Les constructeurs sont plus nombreux sur le marché et les délais de fabrication seront plus courts. Ils étaient de deux ans et demi en 2021. Ils devraient passer à douze ou dix-huit mois », estime le vice-président. En revanche, afin de mûrir encore le projet, DMSE attendra un peu pour démarrer les travaux de la seconde station prévue sur le site de maintenance des « ateliers André-Gervais » et intégralement réservée au bus.

« Avec l'expérience, de nouvelles questions émergent. Sans avoir de posture arrêtée, nous n'adopterons pas forcément le même modèle, en termes de technologie, mais aussi de gestion du dossier, puis d'exploitation. Par exemple, nous pourrions envisager de mieux associer contractuellement le constructeur, d'externaliser plus largement les risques, de trouver d‘autres partenaires qui ont eux aussi acquis des compétences sur ce sujet au fil du temps », détaille Jean-Patrick Masson.

Les batteries électriques ont par ailleurs progressé et la collectivité pourrait envisager de faire des tests pour diversifier son mix avec quelques bus, plus petits, en 100 % électriques. « Mais notre calcul tient toujours pour la mobilité lourde, malgré les avatars rencontrés, assure Jean-Patrick Masson. Les infrastructures hydrogène représentent une bonne réponse pour la décarbonation de nos flottes captives de véhicules lourds : en termes d'autonomie, d'espace disponible, d'émissions de CO2 et de bruit. Nous l'avons déjà expérimenté avec nos bennes à ordures. » La métropole vient d'ailleurs de voter une rallonge de 50 M€ pour l'achat de ces nouveaux véhicules.

Nadia Gorbatko / actu-environnement

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