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Bertrand Piccard : "L'avion à hydrogène vert Climate Impulse doit redonner de l’enthousiasme autour de l’action climatique"

09/11/2024

Bertrand Piccard : "L'avion à hydrogène vert Climate Impulse doit redonner de l’enthousiasme autour de l’action climatique"

Bertrand Piccard, explorateur et fondateur de Solar Impulse. © DR/Climate Impulse

Avec le navigateur français Raphaël Dinelli, l’explorateur suisse Bertrand Piccard prévoit de réaliser en 2028 le premier tour du monde sans escale en avion à hydrogène vert. Baptisé Climate Impulse, ce projet ambitionne de relever un défi technologique jusque-là inédit mais aussi de prouver l’efficacité de l’hydrogène pour décarboner l’aviation dans les décennies à venir. Entretien. 

Après avoir bouclé le premier tour du monde dans un avion électrique propulsé à l’énergie solaire en 2016, l’explorateur et président de la fondation Solar Impulse, Bertrand Piccard, se lance aujourd’hui le défi de réaliser un tour du monde sans escale à bord d’un avion à hydrogène vert, en compagnie du navigateur français Raphaël Dinelli.

A travers cette tentative de vol, prévue pour 2028, l’aventurier suisse - connu pour son optimisme technologique, entend démontrer le potentiel des "énergies propres" comme alternative durable pour le futur de l’aviation. ID l’a interrogé. 

Après trois ans de recherche et développement, le projet Climat Impulse est en cours de construction. Pouvez-vous nous dire comment va fonctionner cet avion ? 

L’avion est constitué de deux fuselages qui contiennent chacun un réservoir d’hydrogène liquide. Il s’agit d’un très grand thermos qui garde l’hydrogène à -253°C. Une petite partie s’évapore. C’est ce que l’on appelle le boil-off. Une fois capté, il passe dans une pile à combustible, puis fournit de l’électricité pour actionner les moteurs électriques. 

Comment parvient-on à stocker de l’hydrogène à une telle température ? 

Il faut un réservoir extrêmement bien isolé afin que l’hydrogène reste liquide au moins pendant toute la durée du vol, qui est de neuf jours. C’est l’un des plus grands défis sur ce projet. Il faut aussi réussir à construire une structure d’avion qui soit beaucoup plus légère que tout ce qui a été fait jusqu’à présent, notamment grâce à l’utilisation de fibres de carbone et de matériaux composites. Un travail est également mené sur l’optimisation de toute la chaîne de propulsion et la performance des moteurs électriques.  

Qui vous entoure pour ces différentes étapes ? 

Dans un premier temps, nous avons pu compter sur le soutien et l’expertise d'Airbus qui nous a aidé à rendre ce projet crédible d’un point de vue technique. Nous sommes aussi accompagnés par plusieurs partenaires :  Syensqo pour les matériaux, ou encore l’université Mohamed IV Polytechnic, et l’OCP au Maroc. 



La maquette 3D de l'avion Climate Impulse.© DR/Climate Impulse

Au-delà d’une prouesse technologique, que représente pour vous le projet Climat Impulse ? 

L'avion à hydrogène vert Climate Impulse doit redonner de l’enthousiasme autour de l’action climatique. Je dirais que c’est un démonstrateur d’esprit de pionnier qui doit permettre d’insuffler une nouvelle manière de penser. 

Face au changement climatique, il y a aujourd’hui beaucoup d’écoanxiété. Bon nombre de personnes ont perdu espoir en l’avenir. Pourtant, de nombreuses solutions existent pour construire un futur plus durable. Mais pour que celles-ci adviennent, il faut changer de paradigme, sortir de ses certitudes et de ses habitudes.  

A travers Climate Impulse, l’objectif à terme est aussi de commercialiser cette technologie pour les entreprises. Est-ce possible dans un contexte où les infrastructures aéroportuaires sont inexistantes et où la production d’hydrogène vert reste encore très coûteuse ?  

Nous ne sommes pas un projet industriel. Notre mission est de rendre désirable et attrayante l’industrie de l’hydrogène. L’idée est d’inspirer les industriels à développer cette filière. Mais ce n’est pas nous qui allons le faire directement."

Aujourd’hui il y a une grande frilosité vis-à-vis de cette énergie. On se retrouve dans une situation où il n’y a pas assez de demandes car il n’y a pas assez d’offres. Et pas assez d’offres car il n’y a pas assez de demandes. Par conséquent, ceux qui produisent un peu d’hydrogène vert, le vendent à des prix très hauts car nous n’avons pas encore atteint la masse critique, c’est-à-dire la quantité qui permet de réduire le coût.  

Pour décarboner l’aviation, de plus en plus de voix plaident plutôt pour une réduction du nombre de vols. Qu’en pensez-vous ? 

Limiter le nombre de vols, c’est quelque chose qui peut avoir un effet en Europe. Mais qui aura un faible impact au niveau mondial. Le reste du monde ne va pas diminuer ses vols. L'Asie, l’Afrique, l’Amérique du Sud, l’Amérique du Nord, ou encore l’Australie, risquent même de les augmenter dans les années à venir. C’est donc complètement marginal de croire que l’on va améliorer la situation de l’aviation en réduisant les vols en Europe.  

Pour rendre l’aviation plus propre, je pense au contraire qu’il faut agir à l’échelle mondiale. On peut par exemple réduire les émissions d’à peu près 20 % avec des approches en descente constante, des routes plus directes ou encore en privilégiant l’électricité plutôt que des moteurs auxiliaires pour la gestion de l’avion au sol. Des carburants moins polluants vont également se développer dans les années à venir, comme les SAF (Sustainable Aviation Fuels), puis l’hydrogène qui reste l’une des solutions les plus prometteuses.  

Face à l’urgence climatique, les efforts ne devraient-ils pas être concentrés en priorité sur des réponses à court terme ? 

Certes, la décarbonation du secteur de l’aviation ne va pas se faire du jour au lendemain. C’est un travail de longue durée mais que l’on peut toutefois commencer dès à présent. Bien avant d’attaquer l’aviation, je pense qu’il faudrait également orienter l’attention vers d’autres enjeux, comme le gaspillage alimentaire qui représente deux fois plus d’émissions de CO2 que l’aviation, ou la consommation de fast fashion qui émet deux fois et demi plus. L’accent devrait également être mis sur le développement du parc de voitures électriques mais aussi le déploiement des pompes à chaleur et d’ampoules LED. Il y a énormément de choses que l’on peut faire tout de suite.  

A travers vos travaux, vous expliquez prôner une "vision de l’avenir qui est celle d’un futur clean plutôt que green". Pourquoi préférer le terme "propre" à celui de "vert" ? 

Le terme vert est bien souvent associé à un parti politique. Or, je pense qu’il faut désormais dépasser les clivages politiques. Il faut que la protection de l’environnement devienne un enjeu, pas seulement à gauche chez les Verts, mais aussi à droite, dans l’industrie, l’économie, la finance. Il ne faut pas se cantonner au vert. Il faut être propre et efficient partout.  

Comment relever ce défi selon vous ? 

Dans le passé, nous avons fait des révolutions industrielles qui ont consommé plus d’énergie et qui n’ont pas intégré les externalités et les dégâts sur l’environnement.

Nous avons besoin aujourd'hui d’une révolution industrielle qui consomme moins d’énergie et propose une énergie propre. Cela passe par le passage à une économie qualitative."

Jusqu’à présent, nous avons vendu de la quantité avec des marges bénéficiaires très faibles et des salaires de misère qui créent des inégalités sociales. Désormais, nous devons vendre de l’efficience en arrêtant le gaspillage des ressources naturelles. Le nouveau modèle économique, ce n’est pas de vendre plus, c’est de vendre mieux. 

Dans le débat public, vous êtes très souvent présenté comme un "optimiste". Est-ce qu’il vous arrive aussi de douter ? 

Je doute sans cesse. Car ce n’est qu’en doutant tout le temps, que l’on se remet en question et que l’on n’arrive à faire mieux. Je me désole de voir que beaucoup de politiciens ne questionnent pas suffisamment à leur tour leurs certitudes. Bon nombre manquent également de vision et ne sont pas capables de voir qu’il faut accompagner cette économie qualitative et cette transition énergétique sur le long terme.

Le monde politique doit en faire beaucoup plus pour intégrer les externalités dans le monde économique. Il faudrait notamment moderniser la réglementation pour que celle-ci valorise les systèmes vertueux et non les systèmes pervers qui gaspillent et polluent. 

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