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Réforme du label ISR : quel impact sur le marché ?

30/07/2024

Réforme du label ISR : quel impact sur le marché ?

© wk1003mike

Accueillie favorablement par les acteurs de l’écosystème, la refonte du label ISR est aussi synonyme d’ajustements parfois importants pour les fonds candidats et déjà labellisés.  

Il était censé amener un certain équilibre dans la force. En lançant en grandes pompes le label ISR en 2016, l’un des premiers en Europe destiné aux fonds d’investissement intégrant des considérations environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) dans leur gestion, le ministère de l’Économie et des Finances espérait mettre en place un phare permettant de guider les épargnants à la recherche de placements plus durables. Malgré ces bonnes intentions, il n’aura pourtant pas fallu longtemps pour que le tampon fasse l’objet de critiques remettant en cause son exigence, et donc, sa fiabilité pour les investisseurs. Dès 2020, un rapport de l’inspection générale des finances pointait par exemple les "lacunes" d’un label exposé, à une "perte inéluctable de crédibilité et de pertinence", à moins d’une "évolution radicale" …  

C’est désormais chose faite, puisqu’après plusieurs mois de travaux, le gouvernement a dévoilé en fin d’année 2023 le nouveau référentiel du label avec un mot d’ordre : une "exigence renforcée", affirme la présidente du comité du label, Michèle Pappalardo : "Pour l'épargnant, le point à retenir est que le label est devenu plus exigeant. Depuis sa création en 2016, il n'avait pratiquement pas évolué, alors que le paysage de la finance durable a connu des progrès significatifs. Le label qui était à l’origine pionnier, avait pris un peu de retard". 

Sélectivité accrue et exclusions 

Pour tenir la promesse faite à l’épargnant, le cahier des charges du label a ainsi été revu en profondeur. Parmi les évolutions majeures, une sélectivité accrue, puisque les fonds labellisés doivent désormais exclure de leur univers d’investissement initial les 30 % d’entreprises les moins bien notées sur le plan ESG, contre 20 % auparavant. Il demande également que le poids des domaines E, S et G soit équilibré. "L'objectif est d’éviter d’avoir parmi les 70 % d’émetteurs les mieux notés des entreprises qui, par exemple, sont très performantes en matière d'environnement mais très mauvaises sur la dimension sociale, ou inversement, détaille Michèle Pappalardo. Le label ISR reste un label généraliste : il n'est ni un label vert, ni un label ayant pour objectif de financer la transition écologique ou énergétique. Il s’agit d’un label de durabilité qui vise à encourager les épargnants à investir dans des fonds ayant, de manière générale, une démarche de développement durable". 

"Depuis sa création en 2016, (le label) n'avait pratiquement pas évolué, alors que le paysage de la finance durable a connu des progrès significatifs. Le label qui était à l’origine pionnier, avait pris un peu de retard."

Autre nouveauté, l’introduction d’exclusions sectorielles couvrant les trois dimensions ESG. Désormais, les fonds labellisés ne peuvent par exemple plus investir dans des entreprises dont plus de 5 % de l’activité relève de la production ou la distribution de tabac ou de produits contenant du tabac, celles impliquées dans la production d’armes controversées ou encore celles soupçonnées de violation graves et/ou répétées d’un ou plusieurs principes du Pacte Mondial (UN Global Compact).  

Mais les exclusions les plus commentées portent sur la dimension environnementale, et en particulier le secteur de l’énergie. À côté des activités de production d’électricité trop fortement émettrices de gaz à effet de serre, le label écarte aussi désormais les entreprises exploitant du charbon thermique ou des énergies fossiles non conventionnelles, ainsi que celles qui lancent de nouveaux projets d’exploration, d’exploitation ou de raffinage d’hydrocarbures (pétrole ou gaz) dès lors que ces activités dépassent 5 % de leur chiffre d’affaires, un seuil qui écarte de facto les grandes entreprises pétrolières, indique Michèle Pappalardo : "Aujourd’hui, l’ensemble des majors exploitent des énergies fossiles non conventionnelles et/ou ont des projets d'expansion. En revanche, une entreprise impliquée dans les fossiles conventionnels, sans nouveau projet et présentant une démarche de réduction de cette activité cohérente avec l’Accord de Paris reste éligible".

Très attendues, ces exclusions étaient notamment nécessaires pour renforcer la crédibilité du label auprès des épargnants, poursuit la présidente du comité du label : " L’idée qu’un fonds labellisé puisse à la fois être en pointe sur l’ESG et financer de nouveaux projets fossiles ne passait plus". Dans un sondage mené par l’ONG Reclaim Finance en 2023, 60 % des personnes interrogées estimaient par exemple que les compagnies pétrolières développant de nouveaux projets fossiles n’avaient pas leur place dans les fonds labellisés.  

Point d’attention sur le climat  

Plus globalement, ces exclusions liées aux fossiles s’inscrivent dans les ambitions renforcées du label en matière de climat, commente Michèle Pappalardo : "Nous avons considéré que l’action contre le changement climatique était incontournable. Quelle que soit leur thématique d’investissement, les fonds doivent démontrer qu’ils se préoccupent de ces sujets et de leur impact ". Désormais, les fonds labellisés doivent ainsi analyser les plans de transition de l’ensemble des entreprises en portefeuille, et 15 % des entreprises appartenant aux secteurs ayant le plus fort impact climatique devront "présenter une trajectoire de transition alignée avec l’Accord de Paris dès le 1er janvier  2026, ce pourcentage ayant vocation à augmenter progressivement".  

En parallèle, 20 % des entreprises appartenant aux secteurs ayant le plus fort impact climatique doivent faire l’objet d’un acte d’engagement actionnarial visant à les accompagner dans la "mise en place d’une stratégie de transition crédible" : "Sans résultats satisfaisants en matière d’engagement, il faudra désinvestir des entreprises concernées. Le label fixe donc désormais des objectifs de résultat sur certains sujets, là où auparavant il détaillait plutôt des règles de process ", ajoute Michèle Pappalardo. "L’engagement devient une contrainte de gestion réelle pour les fonds labellisés, complète Luisa Florez, directrice des recherches en finances responsables chez OFI Invest Asset Management. Ils doivent désormais démontrer des avancées chez les entreprises qui font l’objet d’un engagement. S’il n’y a pas de progrès, ils doivent en tenir compte dans la gestion des portefeuilles ".  

En termes de résultats, les fonds doivent également s’engager à "obtenir une meilleure performance que leur univers d’investissement initial sur deux indicateurs les plus en phase avec leurs objectifs ESG, dont un doit être sélectionné parmi les indicateurs d’incidences négatives proposés par SFDR". Le nouveau référentiel introduit par ailleurs la notion de double matérialité, déjà inscrite dans les règlements européens SFDR et CSRD. "Cela signifie que les fonds doivent se préoccuper à la fois de la matérialité financière des risques ESG pour les entreprises en portefeuille, mais aussi des incidences de ces dernières sur la société et l’environnement", explique Michèle Pappalardo. 

Des chantiers importants 

Si certains estiment que la réforme du label aurait pu aller plus loin, en introduisant par exemple un système de gradation pour les fonds labellisés, cette ambition réhaussée semble avoir été favorablement accueillie par les acteurs de l’écosystème, et notamment les sociétés de gestion, principales concernées. "Cette mise à jour était probablement nécessaire pour maintenir la confiance dans le label. Elle a introduit des exigences plus strictes en matière de reporting et permet aux investisseurs d’avoir des standards français très clairs pour l’évaluation des fonds ISR distribués sur le territoire. Plus de transparence et de clarté sont donc les bienvenus, confie Nathalie Wallace, Chief Sustainability Officer chez Edmond de Rothschild. Ces initiatives sont essentielles pour assurer que l'investissement ISR reste pertinent et efficace dans un contexte de plus en plus axé sur la durabilité".  

Pour autant, l’entrée en vigueur du nouveau référentiel le 1er mars 2024 pour les fonds candidats et le 1er janvier 2025 pour les fonds déjà labellisés est aussi synonyme de chantiers d’envergure pour les sociétés de gestion, et notamment celles qui disposent déjà de gammes labellisées. "Nous avons constitué un groupe de travail en interne pour vérifier comment ces nouvelles exigences impactent la gestion. C’est un enjeu important qui mobilise à la fois nos équipes de recherche et de gestion, mais aussi toute la partie commerciale", indique Luisa Florez.

Aujourd’hui, les points de réflexion portent notamment sur certains ajustements méthodologiques apportés par cette nouvelle version du label, ajoute-t-elle : "Pour appliquer le taux de sélectivité de 30 %, le label exige désormais un calcul pondéré par la capitalisation boursière des entreprises, alors que ceci pouvait se réaliser aussi par nombre d’émetteurs dans le passé. Avec le poids de certaines valeurs dans les indices financiers, cet exercice peut rendre non éligible un grand nombre d’acteurs tout simplement parce que leur capitalisation boursière est plus petite que celle d’un concurrent qui a une note ESG de meilleure qualité. Cette exigence peut être contre-intuitive dans certains secteurs". 

L’accompagnement des entreprises dans la mise en place de plans de transition requiert également que les gestionnaires de fonds ISR "prennent un rôle plus proactif en incitant ces dernières à développer et mettre en œuvre des stratégies de transition écologique", relève Nathalie Wallace : "Le principal défi est la complexité de l'évaluation de l'efficacité des plans de transition et le suivi de leur mise en œuvre (…) Il faut aussi s'assurer que ces plans soient réalistes, suffisamment ambitieux et alignés avec les objectifs globaux de durabilité". Une autre source de difficultés est la "mise en place de systèmes robustes pour mesurer et suivre les progrès des entreprises vers leurs objectifs ESG", poursuit-elle : "Cela implique non seulement des mesures internes, mais aussi l'utilisation de benchmarks externes et la conformité à des normes internationales, ce qui peut varier grandement d'une région à l'autre et d'un secteur à l'autre". 

"Il est très probable que nous perdions un certain nombre de fonds labellisés, mais cela s’inscrit dans la volonté collective de renforcer les exigences du label."

Modification du paysage 

En revanche, l’exclusion des énergies fossiles des fonds ISR ne devrait pas représenter le défi le plus significatif pour les fonds labellisés, estime Michèle Pappalardo : "Aujourd’hui, il y a déjà très peu de fonds labellisés ayant des portefeuilles très exposés aux énergies fossiles et l’impact devrait être limité". Cette évolution devrait toutefois entrainer quelques ajustements plus ou moins importants dans certains portefeuilles : selon une étude d’Epsor publiée il y a quelques mois et portant sur une échantillon de 850 fonds labellisés, 88 % d’entre eux investissaient en 2023 dans au moins une entreprise des énergies fossiles, et 49 % "n’obtiendraient pas le nouveau référentiel car investissant dans au moins une entreprise en lien avec les activités d’extraction de pétrole et de gaz non conventionnel ou d’exploration pétrolière et gazière".  

Face à ces critères plus contraignants, il reviendra aux sociétés de gestion de juger au cas par cas s’il est pertinent de conserver le label. "Il est encore difficile de dire combien de fonds garderont le label, mais nous associons l’ensemble de nos parties prenantes à ces décisions, indique Luisa Florez. Il faut notamment regarder les objectifs de chaque fonds : s’il y a un objectif de durabilité, le fonds restera labellisé".  

"Les complexités ne sont pas les mêmes en fonction de la taille des sociétés de gestion et de celle des fonds, ajoute Michèle Pappalardo. Nous échangeons beaucoup avec les différents acteurs, notamment les sociétés de gestion et les organismes certificateurs, pour identifier où se situent les points de blocage éventuels". En attendant l’échéance de 2025, les acteurs ont encore quelques mois pour lever ces obstacles, mais pour l’heure, il reste difficile d’estimer quel impact cette refonte aura sur le marché des fonds labellisés, poursuit la présidente du comité du label ISR : "Il est très probable que nous perdions un certain nombre de fonds labellisés, mais cela s’inscrit dans la volonté collective de renforcer les exigences du label".  

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