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Le changement climatique bouleverse les AOP fromagères

12/11/2024

Le changement climatique bouleverse les AOP fromagères

L'AOP de l'époisses a déjà fait l'objet de trois dérogations dues au manque d'herbe fraîche. © C.GILLES

C'est l'automne, et avec la baisse des températures, l'idée d'un mont d'or passé au four ou d'un morceau de morbier coulant d'un appareil à raclette s'immisce tout doucement dans les esprits. Déjà, les narines frétillent. Sur les 179800 tonnes de fromages de vache AOP produites en France en 2022, 84600 tonnes ont été fabriquées en Bourgogne-Franche-Comté, soit près de 47%. Largement portée par le comté, cette production tend à décroître au cours des dernières années, en raison notamment du changement climatique. Les six appellations d'origine protégée (AOP) de la région - mont d'or, morbier, époisses, bleu de Gex, chaource, comté - doivent d'urgence s'adapter à son impact. Il porte essentiellement sur leur matière première, un lait de vache aux caractéristiques très encadrées.

Plusieurs appellations repensent leur cahier des charges. Poids lourd régional, le comté a connu une augmentation de 22% de sa production au cours des dix dernières années, mais une baisse de 64500 à 63500 tonnes entre 2021 et 2022. De la production de lait au fromage final, la filière se veut courte, avec uniquement deux étapes, transformation et affinage, assurées par une multitude d'acteurs. Tous, artisans ou marques renommées, comme Entremont, de la coopérative Sodiaal, et Président, de Lactalis, doivent respecter un cahier des charges rigoureux, qui vise à préserver les savoir-faire.

Mais les aléas climatiques obligent les éleveurs à remplacer l'herbe fraîche du pâturage par du foin. «La nature commande et on s'adapte, ce n'est pas le contraire !», souligne Vincent Badoz, le PDG de la fromagerie Badoz à Pontarlier (Doubs). L'entreprise, qui compte 115 salariés et réalise 48 millions d'euros de chiffre d'affaires, fabrique du comté, mais aussi du mont d'or et du morbier. «Avec des températures plus élevées, l'affinage prendra plus de temps», prévient le dirigeant. Depuis 2018, le Comité interprofessionnel de gestion du comté travaille à modifier son cahier des charges afin, notamment, de faire passer de 1 à 1,3 hectare la superficie herbagère minimale par animal. Un moyen de gagner en autonomie alimentaire territoriale, l'un des impératifs des AOP. La version finale devrait paraître à la fin de l'année.

Une démarche également entamée par le Syndicat de défense de l'époisses (SDE). «Notre cahier des charges nous impose d'apporter 50% d'herbe fraîche dans la ration des animaux, du sortir de l'hiver au 15 juin. Mais avec les sécheresses, nous pouvons manquer de pâturages dès le 1er juin », explique Alexandra Jacquot, chargée de mission au syndicat. Entre 2015 et 2023, le SDE a sollicité et obtenu trois dérogations auprès de l'Institut national de l'origine et de la qualité (Inao) pour remplacer l'herbe fraîche par d'autres aliments. Cette répétition a encouragé les producteurs et fromagers à revoir leur cahier des charges. «Nous voulions préserver les fondamentaux, garants de la qualité des fromages, précise la représentante de la filière. Nous avons diminué à 40% la part d'herbe fraîche, mais étendu cette obligation à tous les mois de l'année.»

Les acteurs de l'époisses, de l'artisan fromager aux industriels Rians et Savencia, devraient être fixés dans les mois à venir sur la décision de l'Inao. Le réchauffement climatique modifie autant la qualité que la quantité du lait de vache, amenant les acteurs de la filière à travailler avec les éleveurs. La fromagerie Lincet (190 salariés à Brochon, en Côte-d'Or, et 46 millions d'euros de chiffre d'affaires) a engagé une technicienne dédiée à cette mission de relation.

Isolation et économies d'eau

Si les étés très secs limitent la quantité de fourrage, alors que pour l'époisses, 85% de la nourriture des animaux doit provenir de la zone d'appellation, les étés humides freinent la récolte des fourrages et peuvent entraîner le développement de bactéries pathogènes. Ces indésirables obligent l'entreprise à écarter certaines productions d'époisses. «Mi-2024, nous avons déjà dû détruire six journées de fabrication des fromages au lait cru. Le risque sanitaire est maîtrisé, mais cela a un impact financier énorme. De plus, le contrôle renforcé entraîne des frais. Les analyses coûtent 100 000 euros pour 200 tonnes annuelles produites, soit 50 euros par kilo», détaille Didier Lincet, le président du groupe familial.

De son côté, Badoz prête une attention particulière à l'isolation de ses bâtiments, qu'il renforce. L'entreprise a engagé plus de 20 millions d'euros de dépenses au cours des dix dernières années en intégrant une dimension environnementale à tous ses projets. «Nous travaillons aussi sur les dispositifs de refroidissement, car les extrêmes de température sont plus importants qu'autrefois», explique le dirigeant. Les AOP et la filière fromagère dans son ensemble subissent également les pénuries d'eau. «Les années de déficit hydrique, la préfecture a imposé une réduction de 10% d e nos consommations. Or il faut en moyenne trois litres d'eau par litre de lait transformé», indique Didier Lincet. Avec ses équipes, il a modifié les programmes de lavage de ses équipements pour atteindre et dépasser de 10% cet objectif. Le fromager a installé des sondes sur les tuyauteries pour ajuster les temps de rinçage.

Si l'été joue un rôle majeur sur la production, les hivers influent sur les ventes. «Avec le morbier, et surtout le mont d'or, nous avons des produits “météo sensibles”, dont les ventes fluctuent en fonction des températures», rappelle Vincent Badoz. Un hiver trop doux n'incite pas à passer un fromage, aussi bon soit-il, au four.

Un groupe de travail au chevet du Mont d'Or

Depuis janvier 2022, le Conseil national des appellations d'origine laitières pilote le projet ADAoPT, dont l'objectif est d'accompagner les filières AOP et IGP (indication géographique protégée) laitières dans leur adaptation au changement climatique. À l'origine de ces travaux, une multiplication des demandes de dérogation de fromages AOP à leurs cahiers des charges, en raison des aléas climatiques. Une IGP (tomme de Savoie) et cinq AOP (camembert de Normandie, valençay, picodon, laguiole, mont d'or) font l'objet d'un suivi. Le groupe de travail dédié au mont d'or réunit une dizaine de producteurs de lait et fromagers.

Au programme : des ateliers et des réunions autour de l'utilisation de l'eau, de la composition des sols, de la gestion des prairies et d'autres éléments relatifs à l'adaptation au changement climatique. Avec comme enjeu prioritaire l'autonomie alimentaire territoriale des troupeaux, fondement des AOP.

usinenouvelle

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