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Aider les arbres à migrer, le pari controversé de l'ONF pour l'adaptation au changement climatique

04/06/2024

Aider les arbres à migrer, le pari controversé de l'ONF pour l'adaptation au changement climatique

La forêt de Verdun, siège d'une expérimentation de flux de gènes assisté.    © twanwiermans

Face à l'urgence climatique, planter certaines essences d'arbres issus de milieux plus chauds et secs semble être une solution évidente, et expérimentée par l'ONF depuis plusieurs années. Néanmoins, la méthode ne fait pas l'unanimité.

Planter des essences d'arbres de régions chaudes ou sèches dans des régions plus froides en prévision du dérèglement climatique : c'est en résumé le concept de la migration assistée. La pratique n'est pas récente, comme l'attestent par exemple les forêts de pin maritimes d'Aquitaine, plantées à partir du 19e siècle. Pourtant, dans une note de position (1) publiée début mai 2024, le comité français de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) considère que la technique doit être « mise en œuvre avec précaution ». La migration assistée est-elle une solution miracle ou une fausse bonne idée pour l'adaptation des forêts ?

Qu'est-ce que la migration assistée ?

80 % des forêts de l'ONF sont régénérées naturellement

Pour comprendre les enjeux, il est important de planter les bases. Le terme de migration assistée est parfois utilisé pour décrire des procédés différents. La migration assistée consiste à déplacer une espèce hors de l'enveloppe géographique de son aire naturelle de répartition vers des habitats qu'elle n'a pas encore colonisés, mais serait à même de le faire naturellement sur une période de temps écologique.

Sa variante à échelle géographique plus réduite, le flux de gènes assisté, correspond au déplacement d'un lot de graines d'une espèce à l'intérieur de l'aire naturelle de répartition de cette même espèce. Le projet Giono, initié en 2011 par l'ONF, en est un exemple. Il a pour objectif de déplacer des graines de chênes et de hêtres de différentes provenances, notamment du Sud de la France, afin de les planter dans la forêt de Verdun. Celle-ci, abritant les mêmes essences, est en situation de stress hydrique important. Les graines sélectionnées devraient être plus résistantes au climat chaud et sec et ainsi participer à la résilience de la forêt. « On fait migrer des gènes », résume Brigitte Musch, coordinatrice nationale des ressources génétiques à l'Office national des forêts (ONF), qui travaille sur des sujets pratiques de migration assistée depuis une dizaine d'années.

Le dernier procédé, l'introduction, correspond à une espèce exotique introduite sur un territoire vers lequel elle ne pourrait pas migrer naturellement, à cause d'un obstacle comme une mer par exemple.

Aujourd'hui, la migration assistée et ses variantes sont surtout mises en œuvre dans le cadre d'expérimentations. Les près de 400 sites « îlots d'avenir » de l'ONF sont autant d'objets expérimentaux pour tester de nouvelles essences et provenances dans les conditions du futur. La migration assistée commence aussi à être utilisée dans la gestion courante des forêts, encadrée au niveau des essences et de l'origine grâce à des fiches de recommandations du Gouvernement. Toutefois, la chercheuse de l'ONF précise : « À l'ONF, 80 % des forêts sont régénérées naturellement ».

Une pratique controversée

La migration assistée n'est qu'une solution parmi les autres ” - Brigitte Musch, ONF

Cette technique, qui paraît toute trouvée pour adapter les forêts au changement climatique, ne fait pourtant pas l'unanimité dans la communauté scientifique. Dans une étude (2) publiée en décembre 2023 dans la revue scientifique Oikos, un groupe de chercheurs fustige la migration assistée, accusée d'« induire des dommages environnementaux collatéraux » dans le but principal de conserver la productivité de l'industrie forestière. En cause, le choix des essences utilisées. Adaptés au climat méridional, ces arbres sont moins hauts, et leurs feuilles sont souvent plus petites, plus épaisses et persistantes. Le tapis forestier en deviendrait plus inflammable. En outre, leur feuillage moins dense atténuerait moins les extrêmes climatiques. Planter ces essences du Sud dans les forêts du Nord pourrait finalement être néfaste, non seulement pour les humains en quête de fraîcheur et pour la biodiversité, mais aussi pour lutter contre le réchauffement climatique. « Je voudrais qu'ils aient raison », regrette Brigitte Musch. Tout en rappelant que ce sont les controverses qui font avancer la science, elle précise qu'avec les conditions auxquelles les forêts sont soumises aujourd'hui, les arbres « dépérissent », ce qui modifie déjà le couvert forestier.

Autre point de discorde, le modèle de sylviculture monospécifique perpétué, selon les auteurs de l'article, par la migration assistée. Les îlots d'avenir, en effet, couvrent en moyenne 2 hectares avec une seule essence. « Leur objectif est de comprendre la réaction de l'essence au sol et au climat », pour sélectionner les essences les plus adaptées et susceptibles de résister au changement climatique, et non pas de coloniser des forêts entières avec une seule essence exotique, leur répond la spécialiste de l'ONF. De plus, le projet européen Migforest, démarré en novembre 2023, explore la possibilité de faire migrer plusieurs essences pour augmenter la résilience des forêts.

Les détracteurs de la méthode pointent aussi la forte incertitude sur les capacités d'adaptation au climat actuel, puis futur, des essences déplacées. Alors que faire pour adapter les forêts aux bouleversements climatiques qui les attendent ? Miser sur leur adaptation naturelle, ou agir ? « La migration assistée n'est qu'une solution parmi les autres », tranche Brigitte Musch. Et la chercheuse de conclure : « C'est un pari sylvicole pris par l'ONF ».

1. Lire la note de position de l'UICN

2. Consulter l'étude

Marie Scharff / actu-environnement


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