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Cinq ans après Lubrizol, la préparation à un accident majeur reste insuffisante
30/09/2024
Les deux tiers de la population située dans le périmètre de 500 mètres autour des établissements sinistrés ont fui. © jeanfranois
Si un nouvel accident survenait de jour, il pourrait être très mal géré. C'est ce qui ressort des conclusions d'une vaste étude scientifique publiée à la veille du cinquième anniversaire de l'incendie de l'usine chimique rouennaise.
« Si le conseil donné à la population de rester à l'abri a globalement été respecté lors de l'incendie (débuté la nuit), un événement de cette nature commençant en plein jour pourrait entraîner des départs massifs, d'autant plus que la consigne de mise à l'abri dans le bâtiment le plus proche n'est pas réaliste en milieu urbain non équipé en abri refuge. » C'est l'une des conclusions (1) du projet scientifique Cop Herl portant sur les conséquences pour l'homme et pour l'environnement de l'incendie de l'usine Lubrizol et de son voisin Normandie Logistique survenu à Rouen, le 26 septembre 2019.
Ce projet interdisciplinaire, lancé en novembre 2020 et soutenu financièrement par la Région Normandie, la Métropole Rouen-Normandie, l'Agence nationale de la recherche (ANR) et l'université de Rouen-Normandie, a réuni 17 laboratoires et plus d'une centaine d'experts scientifiques. Outre la caractérisation des substances issues de l'incendie, l'évaluation de la contamination de l'environnement et l'étude des impacts sanitaires, le projet a également embarqué des spécialistes des sciences humaines (sociologues, psychologues, etc.) qui ont analysé les perceptions sociales de l'accident et la résilience des populations.
Comportements contraires aux consignes de mise à l'abri
Parmi les questions auxquelles ont cherché à répondre les scientifiques figurait celle de savoir si l'agglomération de Rouen était préparée à un nouvel accident de ce type. La réponse est non au regard du comportement de la population constaté le jour du sinistre. « De nombreux comportements contraires aux consignes de mise à l'abri (voire de confinement) ont été recensés qui, si le même incident avait eu lieu de jour (rentrer chez soi, chercher les enfants, prévenir la famille, etc.), auraient abouti à l'engorgement probable des réseaux (routiers et téléphoniques) », rapporte l'étude.
La Métropole Rouen-Normandie propose une carte dynamique des sites Seveso
Améliorer l'information sur les risques industriels dans l'agglomération rouennaise. Tel est l'objet de la carte dynamique que la Métropole Rouen-Normandie a mise en ligne le 24 septembre. Cette carte répertorie les 23 sites Seveso, seuil haut et seuil bas, de l'agglomération et leur attribue un code couleur en fonction des derniers rapports de l'Inspection des installations classées (absence de contrôle, inspection sans suite, inspection avec lettre de suite) et des dernières décisions administratives (mise en demeure, mesures d'urgence, sanction administrative).
Selon deux enquêtes réalisées en 2020 et dont les résultats ont été analysées dans le cadre de ce projet, plus de 65 % de la population située dans le périmètre de 500 mètres autour des établissements sinistrés ont fui « sans avoir reçu d'alerte ni d'information concernant un confinement ». À l'échelle de la métropole, 15 à 20 % des répondants à l'enquête indiquent avoir fui pour se protéger. Au pic de l'événement, entre 8 heures et 10 heures du matin, près de 80 % de la population sont donc quand même restés à leur domicile, contre 35 % un jeudi ordinaire. « Si le conseil donné à la population de rester à l'abri a globalement été respecté, un événement de cette nature commençant en plein jour pourrait entraîner des départs massifs », estiment les auteurs.
Une enquête, réalisée en 2018, soit avant l'accident, montrait « l'absence de réflexes normés tels que prescrits par les autorités ». Pourtant, lors des exercices de crise, le scénario le plus souvent retenu est « celui de populations qui se comportent selon les procédures transmises lors des campagnes d'information », rapporte l'étude. Ainsi, alors que la conduite à tenir est celle de la mise à l'abri dans le bâtiment le plus proche, « une variété de comportements a été constatée mettant en évidence qu'au-delà de la simple connaissance des consignes, leur mise en pratique reste un défi ».
Carte des sites Seveso dans la métropole de Rouen - © OpenStreetMap contributors
Même si la culture du risque s'est améliorée depuis la survenance de l'accident, comme l'a constaté par ailleurs l'étude, les auteurs pointent un angle mort dans la gestion de crise. L'accueil des populations dans les établissements recevant du public (ERP), qu'ils soient publics ou privés, est « un enjeu qui n'est aujourd'hui pas identifié », constatent-ils.
Décalage entre la communication de la préfecture et la population
Cela soulève également la question de la pertinence des messages d'alerte et de la communication délivrée par les autorités pendant la crise. « Le décalage entre la préfecture, communiquant sur les faits quantitatifs du risque, et la population, vivant une perception sensorielle (vision, odeur, gêne respiratoire, maux de tête, nausées), est particulièrement illustratif du travail qui reste à produire pour améliorer la culture du risque au sein de la métropole », rapportent les auteurs, après avoir analysé le comportement des populations durant l'incendie.
« Plus les informations officielles prennent du temps à être formulées, plus la viralité d'informations non vérifiées est risquée, surtout dans un contexte où la culture du risque est peu développée », soulignent-ils. À cet égard, la complémentarité de la plateforme FR-Alert, dispositif d'alerte par téléphone portable mis en place par l'État en 2022, et InfoRisques, système d'information et d'alerte par SMS proposé par la Métropole Rouen-Normandie, « est donc un atout si les cellules de communication possèdent les mêmes éléments de langage et se concertent avant et pendant la crise sur l'évolution de la situation et les informations/consignes à transmettre ».
Parmi les trois recommandations que les scientifiques formulent à l'issue de leur analyse, l'une porte précisément sur ce point. « Au-delà de la réduction des délais, des objectifs de transparence et de la nécessaire cohérence des consignes, il conviendrait de rapprocher la communication de crise faite par les institutions, basée sur le registre factuel, du ressenti de la population, basé sur le registre sensoriel et émotionnel », estiment les scientifiques. Faute de quoi, le décalage risque de nourrir des sentiments « d'incompréhension, de suspicion, voire de défiance ».
1. Télécharger la synthèse du projet Cop Herl
Laurent Radisson / actu-environnement