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Mobilité, chaleur, froid : des gisements à mobiliser pour absorber les surplus d'ENR ?
14/10/2024
La chaleur produite lorsque l'électricité est peu chère est stockée et revendue à des réseaux de chaleur, par exemple. © moonphasestudio
L'essor des énergies renouvelables engendre des besoins croissants de flexibilités sur le système électrique. Encore émergent, le pilotage de la demande à la hausse permet d'absorber les surplus, notamment en période de prix négatifs.
L'année 2024 a été record en termes de prix négatifs sur les marchés de l'électricité. Au premier semestre, la France a enregistré 233 épisodes de prix négatifs, contre 53 durant les six premiers mois de 2023. Une tendance appelée à s'amplifier avec la croissance du parc d'énergies renouvelables électriques. Plus que jamais, les solutions de flexibilité apparaissent nécessaires, afin de ne pas freiner la transition du système électrique.
Les besoins se situeront à l'échelle infrajournalière, pour s'adapter notamment au profil de production solaire, mais aussi saisonnière, pour absorber les surplus de production renouvelable pendant certaines périodes ou, au contraire, arriver à passer les périodes de faible production des parcs éoliens et photovoltaïques.
Les moyens de stockage, qui pourraient répondre à ces besoins, se heurtent à plusieurs freins : l'absence de modèle économique fort pour les parcs de batteries et le risque de cannibalisation du marché avec leur déploiement massif, les échéances plus lointaines de développement et les coûts pour l'hydrogène et les futures Step.
En comparaison, la flexibilité de la demande apparaît comme une solution mobilisable rapidement et à moindre coût. Dans un premier temps, l'effacement a surtout été mobilisé pour limiter les pointes de consommation. Désormais, plusieurs usages sont étudiés afin d'absorber les surproductions renouvelables. Les plus avancés concernent le pilotage du parc tertiaire, mais d'autres peuvent être mobilisés massivement, comme l'ont montré les échanges lors du colloque du Club stockage d'énergies, organisé le 3 octobre par l'ATEE.
Véhicules électriques : 10 GW d'appel de puissance en 2035 ?
Le développement de la mobilité électrique constitue un gisement clairement identifié de flexibilité. Pourtant, malgré les offres qui se développent chez les fournisseurs, moins d'un particulier sur quatre possédant un véhicule électrique déclare piloter sa recharge. D'ici à 2035, 18 millions de véhicules électriques ou hybrides rechargeables devraient être en circulation (moins de 2 millions aujourd'hui), ce qui pourrait représenter 6 % de la consommation totale d'électricité (40 térawattheures). Le pilotage de ce nouvel usage sera donc indispensable pour éviter d'augmenter les pointes de consommation. « La généralisation du pilotage de la recharge permettra une économie de 10 [gigawatts (GW)] au pic de puissance, soit l'équivalent de dix réacteurs nucléaires », estime Enedis.
Le pilotage tarifaire est principalement calé sur les heures pleines/heures creuses, qui incitent à recharger la nuit. Au Royaume-Uni, Octopus Energy a lancé, en mai dernier, l'offre « Agile » sur les recharges publiques, qui propose des prix bas lorsque l'électricité verte est abondante en signalant ces périodes à l'avance aux usagers. La société envisage à l'avenir de payer les consommateurs pour se charger en période de prix négatifs.
“ La généralisation du pilotage de la recharge permettra une économie de 10 GW au pic de puissance, soit l'équivalent de dix réacteurs nucléaires ” - Enedis
Mais les signaux tarifaires seront-ils suffisamment incitatifs ? s'interroge David Marchal, de l'Ademe, qui évoque différentes pistes pour piloter au mieux ce gisement, « comme l'asservissement de la charge à une période d'heures creuses via le compteur Linky ou encore l'intervention d'intermédiaires pour gérer le parc électrique ».
En revanche, concernant le vehicle-to-grid, qui consiste à utiliser les batteries des véhicules électriques dans les deux sens pour stocker et déstocker, Claire Lajoie-Mazenc, conseillère scientifique senior de RTE, est plus sceptique : « Le maximum de valeur est obtenu en pilotant la charge. Il peut y avoir quelques cas pertinents, mais il ne faut pas fantasmer le V2G. Il n'y a pas de bénéfice important à changer tous les systèmes en bidirectionnel ».
Stockage de chaleur et de froid pour passer les saisons
Moins intuitive, et pourtant pratiquée depuis longtemps : la production de chaleur pour absorber les surplus d'électricité. Aujourd'hui, trois quarts des chauffe-eau électriques sont pilotés en heures creuses, évitant des appels de puissance de 2 GW aux heures de pointe. Sur ce principe, des solutions de plus grande envergure sont envisagées, avec un intérêt non négligeable : stocker à plus long terme.
HP/HC et tarification dynamique
Pour modifier structurellement les profils de la demande d'électricité, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) a demandé à Enedis de redéfinir les heures pleines/heures creuses (HP/HC) afin de s'adapter aux nouveaux schémas de production, notamment aux surplus de production solaire.
En parallèle, les fournisseurs d'énergie sont appelés à développer la tarification dynamique. La France dispose d'un avantage sur ce sujet : elle est très avancée dans le développement des compteurs intelligents, ce qui permet de piloter plus finement la demande.
« L'idée est de récupérer l'électricité lorsqu'elle est peu chère pour produire de la chaleur, la stocker et la revendre, par exemple, à des réseaux de chaleur », explique Hugues Defréville, président de Newheat. Il s'agit du « power-to-heat ». Au Danemark, plusieurs mégabassines isolées ont été construites pour stocker de l'eau chaude, en vue de la redistribuer dans les réseaux urbains. Un projet est également à l'étude à Pau, dans le cadre du projet européen de recherche Treasure. L'objectif : stocker en fosse les surplus de production renouvelable en été pour alimenter le réseau de chaleur l'hiver, ce qui éviterait le recours au gaz pour alimenter le réseau. En Hongrie, un projet de stockage par sels fondus, porté par Kyoto Group, envisage quant à lui de fournir de la vapeur à un industriel et des services d'équilibrage au réseau électrique.
L'entreprise Fafco propose, quant à elle, à ses clients de stocker du froid et de la glace en les produisant pendant les périodes où l'électricité est bon marché. « Nous avons installé 3 GWh de stockage en quarante ans dans des CHU, des hôpitaux (qui constituent 50 % des clients, l'imagerie, les IRM sont très consommateurs de froid), des centres de données, des réseaux de froid, des industries agroalimentaires…, explique Éric Lathuile, son président. Le froid est très consommateur d'électricité. » Le CHU de Poitiers a ainsi installé un stockage de froid de 6,4 MWh, pour « écrêter les besoins en mi-saison et effacer totalement la production de froid en hiver ». À La Réunion, la Cité des arts de Saint-Denis s'est dotée d'un stockage de 3 MWh, dimensionné en fonction de son installation photovoltaïque. « Le taux d'autoconsommation est proche de 100 %, le taux d'autoproduction approche 60 %. » Une solution qui risque de faire des émules avec l'augmentation à venir des besoins en froid… Le quartier de la Défense, à Paris, a d'ailleurs déjà recours au stockage de glace pour alimenter ses tours en froid.
Sophie Fabrégat: Cheffe de rubrique énergie / actu-environnement