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Et si la plus grande usine de recyclage au monde, installée en France, n’était pas si écologique
17/10/2024
Le projet Eastman permettra de traiter les déchets composés de polyester grâce au recyclage moléculaire. @Unsplash
Alors qu’elle prend du retard sur ses objectifs de recyclage plastique, la France devrait accueillir d’ici 2026 la plus grande usine de recyclage chimique au monde. Qualifié il y a quelques semaines d’intérêt national majeur, le projet soulève pourtant des interrogations, notamment sur son bénéfice environnemental.
Il pourrait devenir le plus grand site de recyclage chimique au monde. D’ici deux ans, la commune de Saint-Jean-de-Folleville en Normandie, devrait accueillir une usine flambant neuve permettant à terme de transformer plus de 200 000 tonnes de déchets plastiques grâce à la “méthanolyse”, un procédé de recyclage moléculaire. Porté par l’entreprise américaine Eastman, le site dont le coût officiel s’élève à plus d’un milliards d’euros seulement pour la première phase, a été reconnu le 5 juillet dernier “projet d’intérêt national majeur” par l’Etat français, cinq jours avant la conclusion de l’enquête publique en cours.
Au travers de ce décret, le projet qui revêt selon le gouvernement une “importance particulière pour la transition écologique ou la souveraineté nationale” pourrait bénéficier de mesures d’accélération administratives, mais aussi obtenir certaines dérogations à la réglementation sur les espèces protégées. Une décision “lourde de conséquences pour les écosystèmes et la santé humaine” selon un communiqué de l’association Zéro Waste France, qui questionne l’impact environnemental de cette nouvelle usine.
Des déchets français, mais pas que
Car le projet divise sur plusieurs points, à commencer par son gigantisme. Implanté sur un site de presque 42 hectares, soit l’équivalent de 58 terrains de foot, il nécessitera l’apport d’une quantité massive et continue de déchets polyester (PET) – comme des fibres textiles, des bouteilles, des sachets multicouches ou encore des barquettes alimentaires – pour fonctionner correctement. Dans un premier temps, ce sont ainsi plus de 110 000 tonnes de plastiques qui seront acheminés jusqu’en Normandie à partir de toute la France, mais aussi d’Italie, d’Allemagne, d’Europe de l’Est et d’Espagne selon le bilan de concertation du projet.
Si Eastman ambitionne d’atteindre 100% de matière première française après le lancement de l’usine et nous indique réfléchir “à une stratégie de transport multimodal pour répondre [à ses] engagements de neutralité carbone“, l’importation des déchets en grande partie par camions pourrait peser sur son bilan environnemental. “Pour l’heure, on est très loin du principe de gestion de proximité des déchets, regrette auprès de Novethic Flore Berlingen, spécialiste de la question des déchets et des ressources. Mais la technologie de méthanolyse est tellement chère qu’il faut voir grand pour espérer atteindre la rentabilité”.
Risque de concurrence
Le bénéfice environnemental du procédé développé par Eastman reste par ailleurs à prouver, selon les opposants au projet. Les technologies de recyclage chimique, dont la méthanolyse fait partie, sont en effet “confrontées à de nombreux obstacles pratiques et financiers”, estime Zéro Waste France dans une publication datant du 11 juillet dernier. “L’absence de données empiriques ne permet pas de conclure que de telles structures présentent un bilan environnemental plus avantageux que les installations de recyclage traditionnel, qu’elles risquent par ailleurs de concurrencer”, ajoute l’association.
“Le recours à la méthanolyse peut résoudre des problèmes de recyclabilité sur quelques types de produits, mais ça ne doit viser que des systèmes complexes, précise Kako Naït Ali, docteure en chimie des matériaux, interrogée par Novethic. Il ne faudrait pas que cette usine traite par exemple des bouteilles en PET, car on retirerait un marché à des entreprises qui recyclent déjà très bien cette matière-là”. Interrogé à ce sujet, Eastman défend de son côté l’usage du recyclage moléculaire, “en complément des technologies de recyclage actuelles”, afin d’offrir une réponse “aux déchets plastiques en PET qui n’ont aujourd’hui pas de solution de fin de vie”.
Concrètement, cette technologie permet d’extraire les éléments constitutifs des déchets – les monomères – ensuite utilisés pour produire de nouveaux plastiques “sans aucune dégradation de qualité ou de performance”, explique l’entreprise. Selon elle, la méthanolyse présente “une réduction des émissions carbone de 20 à 30% en comparaison avec la production de matériaux vierges”. Sur ce point, l’avis de l’autorité environnementale soulève un manque d’évaluation. “Une comparaison plus précise de ces émissions à l’analyse du cycle de vie d’une tonne de PET recyclé par d’autres méthodes (recyclage mécanique, biochimique, thermique…) (…) aurait été souhaitable”, note l’organisme.
Une “fausse solution” ?
“Rester sur des technologies maitrisées, quitte à ne pas recycler à 100%, mais en le faisant de manière locale, c’est un scénario qui n’a pas été étudié”, confirme Flore Berlingen. Si Eastman reconnait auprès de Novethic l’avantage environnemental du recyclage mécanique, il ne fournit aucune mesure permettant de mettre en regard les performances de cette méthode avec celles du recyclage moléculaire. Selon les données du Joint research center de la Commission européenne, le recyclage traditionnel permettrait pourtant une réduction des émissions de CO2 trois fois plus importante, ce procédé étant moins énergivore que la méthanolyse.
Artificialisation des sols, rejets de microplastiques, de PFAS ou de particules fines… L’autorité environnemental pointe en outre plusieurs “impacts sur la ressource en eau, les sols, la biodiversité, la qualité de l’air et le climat” liés à l’implantation de l’usine à Saint-Jean-de-Folleville. Résultat, si les projets de recyclage chimique pourraient être amenés à se développer en réponse aux ambitions fixées par l’Union européenne, Zéro Waste France s’inquiète d’une “fausse solution”. D’autant plus que les investissements massifs dirigés vers ces nouveaux procédés risquent de détourner les regards d’un dernier scénario : la réduction des déchets plastique. “Alors que la plupart des plastiques ne sont pas recyclables, investir dans de nouveaux procédés industriels de recyclage, comme le projet Eastman, plutôt que d’interdire leur utilisation, retarde la transition vers une véritable économie circulaire”, déplore l’association.