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Peut-on concilier relance minière en France et préservation de la biodiversité ?
19/05/2025

Mine de lithium en Allemagne. Dronepassio/Shutterstock
Face aux tensions qui pèsent sur l’approvisionnement en métaux critiques, la France et l’Union européenne songent à relancer l’industrie minière. Mais reste à savoir si ce renouveau minier est compatible avec la protection de la nature. Un projet de recherche entend fournir au législateur les outils pour répondre à cette question.
Pour faire face à l’urgence climatique, différentes mesures de politique publique ont été prises au sein de l’Union européenne pour assurer la transition énergétique. En 2019, la Commission européenne a adopté le pacte Vert, qui ambitionne d’atteindre un objectif de zéro émission nette d’ici à 2050.
Pour y parvenir, il est crucial de décarboner l’économie, ce qui passe par le développement des énergies renouvelables et de la mobilité électrique. Dans un contexte de tensions sur l’approvisionnement en plusieurs matières premières critiques pour la décarbonation, notamment des métaux (lithium pour les batteries électriques, par exemple), l’UE a également légiféré sur cette question en 2024.
La question du renouveau minier en France est ainsi au cœur du débat avec de nombreux questionnements sur les risques géopolitiques de tensions sur les marchés, le risque de pollution lié notamment aux activités d’extraction et de raffinage des métaux et le risque de perte de biodiversité.
En effet, dans le même temps, l’Union européenne a également adopté une stratégie en faveur de la biodiversité, qui doit restaurer un certain nombre d’écosystèmes à l’horizon 2030. Ces deux objectifs – relance minière en France et préservation de la biodiversité – sont-ils conciliables, et à quelles conditions ?
Des métaux critiques pour la transition
De nombreuses matières premières sont nécessaires à la production d’énergie renouvelable (par exemple pour fabriquer des éoliennes ou des panneaux solaires), ou encore pour pouvoir utiliser de l’électricité décarbonée (batteries, véhicules électriques, etc.). Certaines de ces matières premières ont été classées par l’Union européenne comme étant critiques à cause de leur nature stratégique et des risques de tensions sur leur approvisionnement.
Prenons l’exemple des véhicules électriques. Le Parlement européen souhaite orienter l’achat vers des véhicules à émissions nulles, en interdisant la vente de voitures diesel et essence neuves à partir de 2035.
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Ce changement de législation devrait faire augmenter la demande en métaux critiques comme le cobalt, le lithium, le nickel et le graphite, essentiels pour la production des batteries des véhicules électriques. Le cuivre aussi est indirectement concerné : il est principalement utilisé dans les réseaux électriques, les panneaux solaires et les éoliennes.
La demande de cuivre, de cobalt et de lithium devrait ainsi exploser au cours des prochaines années, selon les analyses de l’Agence internationale de l’énergie (AIE).
Prévision de l’évolution de la demande de cuivre, de cobalt et de lithium au cours du temps, selon deux scénarios (en trait plein : zéro émission nette d’ici à 2050 ; et en pointillé : politiques actuelles). Critical Minerals Data Explorer, Agence internationale de l’énergie (IEA), 2024, Fourni par l'auteur
L’Union européenne ne dispose que de 1,2 % des réserves mondiales de lithium, 1,6 % de celles de cuivre et de 4,4 % de celles de cobalt.
Ceci en fait une région dépendante du reste du monde pour son approvisionnement dans un contexte d’augmentation de la demande.
C’est pourquoi, l’Union européenne a mis en place une stratégie pour gagner en indépendance vis-à-vis de ces matières critiques, à travers le Critical Raw Material Act (CRM Act), signé en 2024.
Principaux pays miniers pour le cuivre, le cobalt et le lithium. Critical Minerals Data Explorer, Agence internationale de l’énergie (2024), Fourni par l'auteur
Comment parvenir à un usage raisonné du sous-sol en France ?
Le gouvernement français aussi se préoccupe de la disponibilité de ces matériaux stratégique. Il a lancé, en 2023, le programme de recherche Sous-sol, bien commun, qui regroupe plus de 30 institutions et laboratoires partenaires.
Ce programme étudie notamment la pertinence d’extraire ces matières premières critiques en France, mais il a également pour but d’évaluer au mieux les conditions nécessaires à une utilisation durable du sous-sol. Il réunit des experts de différentes disciplines : géologie, économie, sociologie…
La possibilité d’ouvrir de nouvelles mines en France fait débat et requiert une analyse qui tient compte des effets sur l’environnement. C’est ce que propose de faire l’une des tâches de la partie consacrée à l’économie de ce programme de recherche sur laquelle nous travaillons et qui devrait aboutir d’ici 2030.
Si l’ouverture de mines implique de sacrifier une part de nature, il est nécessaire de savoir évaluer ce sacrifice, c’est-à-dire de pouvoir donner une valeur à la nature.
La nature n’existe pas isolément des activités humaines. Un nombre croissant de chercheurs reconnaissent que « l’économie est ancrée dans la nature et en dépend ». Selon la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), il existe trois catégories de bénéfices ou de valeurs de la biodiversité :
- les valeurs instrumentales (par exemple, la récolte du bois d’une forêt) ;
- les valeurs relationnelles (par exemple, l’attachement à une forêt sans s’y promener, chasser, ou récolter du bois) ;
- et les valeurs intrinsèques (c’est-à-dire, la nature vue comme une fin en soi).
Définitions des valeurs de la nature selon l’IPBES, l’Efese et la commission Chevassus-au-Louis. Adapté de la note d’É. Tromeur et A. Pommeret, 2024.
Le problème est que certaines de ces valeurs sont quantifiables – comme le coût du bois pour une forêt – alors que d’autres sont plus difficiles à définir avec certitude, comme l’attachement.
Exemple des différentes valeurs d’une forêt.
De plus, elles sont souvent calculées pour un cas précis et ne peuvent pas être généralisées.
Enfin, les méthodologies pour réaliser ce genre de calculs et pour estimer la valeur monétaire de la nature à partir des services qu’elle nous fournit ont un certain nombre de limites.
En gardant à l’esprit que la biodiversité a plusieurs dimensions et que les valeurs définies précédemment sont difficiles à calculer si l’on se base sur les seuls bénéfices que l’on en retire, nous proposons une approche basée sur des calculs coût-efficacité.
L’enjeu dépasse la seule question du renouveau minier en France. Fixer une valeur à la biodiversité est essentiel pour pouvoir implémenter les objectifs de « zéro artificialisation nette (ZAN) » fixés en 2021. Cela peut se limiter au coût d’opportunité du sol (c’est-à-dire, de ce que l’on s’empêche de faire lorsqu’on protège la nature, et qui peut être estimé par les coûts du foncier) ou aller jusqu’à prendre en compte les coûts nécessaire pour protéger les sols (en tenant compte des coût des actions de restauration et de renaturation).
Une fois calculée cette valeur de la nature, elle pourra être utilisée pour éclairer les décisions d’ouverture de nouvelles mines mais aussi toutes les autres décisions relatives à l’utilisation du sol (foncier, champs de panneaux solaires, etc.).
Le projet ANR-22-EXSS-0004 est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. L’ANR a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’ANR.