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Minéraux et métaux : les chausse-trappes de la transition écologique
31/08/2024
Une mine de cobalt à Bou-Azzer (Maroc). © Par cornfield
Les technologies liées à la transition écologique nécessitent plus de minéraux et de métaux. Mais leur extraction et leur transformation est source d'importantes émissions de gaz à effet de serre. Comment sortir de cette quadrature du cercle ?
Fournisseur de minéraux et de métaux de plus en plus essentiels au développement des technologies bas carbone, le secteur minier constitue aussi une source importante de gaz à effet de serre du fait de sa nature énergétivore. Afin de faire le point sur le rôle de l'exploitation minière dans les contributions déterminées au niveau national (CDN) des États et sur les stratégies souhaitables pour réduire son empreinte carbone, le Forum intergouvernemental sur les mines, les minéraux, les métaux et le développement durable (IGF) créé sous l'égide de l'ONU en 2005, a mené une étude de cadrage (1) .
Publiée par l'Institut international du développement durable, en juillet dernier, son rapport couvre l'extraction et le traitement des minéraux et des métaux, y compris le charbon en tant que source d'énergie pour les activités minières, à l'exclusion des matériaux non métalliques. Il s'appuie sur trois études de cas nationaux : au Chili, en Indonésie et en Afrique du Sud.
Les nouvelles technologies gourmandes en minerais
En fournissant les ressources nécessaires à la fabrication « de presque tout ce qui est nécessaire au fonctionnement de la société moderne », le secteur minier joue un rôle crucial dans l'économie mondiale, confirment les experts de l'IGF. Il devrait particulièrement être mis à contribution dans le cadre de la transition énergétique des pays, via la mobilité électrique ou les infrastructures d'énergie renouvelable par exemple. Selon l'Agence internationale de l'énergie, une voiture électrique nécessite six fois plus d'apports minéraux qu'une voiture à combustion, sans comptabiliser l'acier et l'aluminium.
“ Cela nécessite de trouver un équilibre délicat pour exploiter le potentiel économique tout en donnant la priorité à l'inclusion sociale et à la gestion de l'environnement. ”
Le Forum intergouvernemental sur les mines, les minéraux, les métaux et le développement durable
Pour répondre à la demande, la Banque mondiale évalue ainsi à 500 % l'augmentation de la production de minéraux comme le graphite, le lithium ou le cobalt, jusqu'en 2050. L'oxyde de néodyme et le cuivre seront aussi particulièrement recherchés et des mines de plus en plus grandes devraient ouvrir à l'échelle mondiale. En parallèle, le secteur contribue grandement aux économies nationales des pays riches en ressources à qui « s'il est bien exploité et géré », il peut permettre de financer la transition énergétique, l'atténuation et l'adaptation au changement climatique.
Un revers de la médaille inquiétant
Ces activités minières d'extraction et de transformation contribuent cependant à la dégradation des terres, à la perte de biodiversité, à la pollution de l'air et de l'eau et à l'épuisement des ressources. Très gourmandes en énergie, elles participent aussi de manière significative aux émissions mondiales de GES : à hauteur de 1,9 à 5,1 gigatonnes d'équivalent CO2 (CO2e) par an, soit 2 à 7 % des émissions mondiales. Les volumes les plus importants sont générés par l'extraction du charbon. Selon le cabinet McKinsey, 75 % à 85 % des émissions de GES proviennent d'émissions fugitives de méthane issues de ces mines de charbon, Mais d'autres minéraux alourdissent aussi le bilan, comme le nickel et le cuivre qui, ensemble, représentent près de 0,5 % des émissions mondiales. Pour chaque tonne produite, le nickel ajoute à la facture 12 à 78 tonnes CO2e tandis que le cuivre en génère 4,6 tonnes CO2e supplémentaires.
Plusieurs variables peuvent intervenir pour alourdir ou alléger ces totaux. Ainsi, plus la teneur du minerai diminue, plus les minerais à extraire sont plus profonds et plus la dépense énergétique sera importante. Au stade du raffinage, l'énergie dépensée n'est pas la même selon les caractéristiques de ces minéraux. Le mode d'acheminement joue également un rôle, sans oublier la source d'énergie utilisée. L'Indonésie, le plus grand producteur mondial de nickel, par exemple, dispose d'un mix énergétique largement dominé par le charbon. Ressource fossile locale dont la teneur énergétique est en outre inférieure de 20 à 25 % à celle du charbon d'autres pays, comme l'Australie, la Colombie ou l'Afrique du Sud.
Une dépendance difficile à dépasser
L'IGF rappelle que le charbon sert largement de matériau de transformation ou de combustible énergétique pour d'autres industries : notamment pour 90 % du ciment mondial, 61 % de l'aluminium et 70 % de l'acier qui constitue lui-même 20 à 90 % de la masse des… éoliennes. Comprendre l'empreinte d'émission de toute nouvelle technologie à faibles émissions de GES devrait ainsi devenir une condition préalable à la décarbonation d'autres secteurs économiques, estiment ses experts. La Chine, leader dans la fabrication d'éoliennes, dépend elle-même fortement du charbon. « Il faudra probablement du temps pour inverser cette tendance, soulignent les auteurs de l'étude. Au cours des années à venir, on s'attend à ce que les économies émergentes et en développement comme l'Inde et l'Indonésie, entre autres pays, continuent de s'appuyer principalement sur le charbon pour générer une forte croissance économique, même si cela ne correspond pas nécessairement à leurs engagements d'accélérer l'adoption du charbon. »
Une approche d'économie circulaire minimisant les déchets et recyclant les produits en fin de vie, peut en revanche aider à réduire la demande de métaux primaires. « Le recyclage des déchets de cuivre post-consommation et pré-consommation pourrait permettre de répondre à 41 % de la demande actuelle en Amérique latine », estime l'International Copper Association. Quoi qu'il en soit, des scénarios de transition énergétique plus ambitieux s'accompagneront mathématiquement d'une demande plus élevée de minéraux, et donc de besoins énergétiques plus élevés, qui pourraient ensuite se traduire par une augmentation des émissions de GES.
Différents efforts à mener
« Cela nécessite de trouver un équilibre délicat, observe l'IGF, pour exploiter le potentiel économique tout en donnant la priorité à l'inclusion sociale et à la gestion de l'environnement. » L'Indonésie et l'Afrique du Sud n'ont pas spécifiquement mis l'accent sur la décarbonation du secteur, misant plutôt sur celle de l'énergie et de certains process industriels. Les entreprises du secteur tablent elles aussi sur des énergies à plus faibles émissions et se sont fixées des objectifs climatiques un peu plus ambitieux. Les règlementations internationales les y poussent fortement, notamment celles de l'Europe comme la CSRD. Mais « des évaluations appropriées sont difficiles car les informations sur la part des revenus que les grandes sociétés minières consacrent à la décarbonation ne sont pas toujours disponibles », constate le rapport.
CDN : une démarche de progrès continus
Définis dans le cadre de l'Accord de Paris, les Contributions Déterminées au niveau National (CDN) décrivent les mesures que les États comptent prendre pour contribuer à l'objectif mondial de limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C, s'adapter aux effets du changement climatique et financer ces efforts. Elles doivent être mises à jour tous les cinq ans. Un premier Bilan mondial (Global Stocktake) a été examiné en 2023, à l'occasion de la COP 28. Les suivantes devront refléter une ambition plus élevée.
Dans le même temps, la décarbonisation du secteur minier doit devenir une priorité, traduite par des politiques nationales : notamment par des incitations vis-à-vis du secteur privé et des investissements dans les technologies propres. Malheureusement, « très peu de pays, même les plus grands producteurs, ventilent leurs données pour identifier spécifiquement la contribution actuelle du secteur minier aux émissions nationales de GES, déplore le rapport. Par conséquent, le secteur minier ne peut pas être spécifiquement ciblé pour aider les pays à atteindre les CDN. » La fixation d'une redevance carbone pourrait toutefois s'avérer un premier levier efficace. En multipliant par deux le prix du charbon, une taxe de 35 dollars la tonne, par exemple, contribuerait à réduire notablement les émissions des gros utilisateurs comme la Chine, l'Inde et l'Afrique du Sud.
Les auteurs du rapport formulent d'autres recommandations comme s'attacher à fournir des données de qualité pour éclairer les décisions et assurer une prise en compte spécifique du secteur par les gouvernements dans le cadre de leurs politiques d'atténuation, sans le fondre systématiquement dans celui de l'énergie. Ils préconisent aussi de développer de nouveaux modèles de responsabilité entre les pays producteurs et les pays de destination en concevant des cadres nationaux fondés sur les meilleures pratiques mondiales, notamment ,et en s'appuyant sur plus de coopération. Le rapport souligne aussi la nécessité de mener des efforts coordonnés entre les gouvernements, l'industrie minière et les parties prenantes internationales, afin de mieux cerner les impacts des stratégies choisies.
1. Lire l'étude de cadrage de l'IGF
Nadia Gorbatko / actu-environnement