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Climat : la France doit encore fournir des garanties sur la durée
25/06/2024
Les transports représentent encore un tiers des émissions de gaz à effet de la France © Yann Vernerie
Le Haut Conseil pour le climat a délivré le dernier rapport annuel de sa première mandature. Celui-ci revient, en détail, sur la baisse des émissions constatées en 2023 et sur les perspectives offertes par les politiques publiques actuelles.
Pour le Haut Conseil pour le climat (HCC), l'année 2023 a été celle des nuances. Dans son sixième rapport (1) annuel publié ce 20 juin, l'instance consultative du Gouvernement reconnaît que le rythme de la baisse des émissions annuelles brutes de gaz à effet de serre a été, pour la première fois (en dehors du contexte exceptionnel de la crise sanitaire de 2020), d'une « ampleur cohérente avec une trajectoire de décarbonation permettant d'atteindre les objectifs de la France pour 2030 ». Cela étant, malgré les réels efforts justifiant cette performance, « le décalage se creuse entre les efforts d'adaptation fournis, d'une part, et les besoins et les vulnérabilités, d'autre part ».
Un budget carbone pas complètement respecté
Évolution des émissions brutes et nettes en France entre 2019 et 2023, par rapport au budget carbone. © Haut Conseil pour le climat
D'abord, les chiffres. Le HCC s'appuie sur les données annuelles provisoires du Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (Citepa), mises à jour en mai dernier (et détaillées, secteur par secteur, dans un rapport paru le 19 juin (2) ) mais qui restent à consolider en 2025. D'après ces données, la France aura émis 372,9 millions de tonnes d'équivalent dioxyde de carbone (MtCO2e) en 2023, soit 5,8 % de moins qu'en 2022. Cela représente 22,8 MtCO2e de moins que le budget carbone fixé pour 2023 par la Stratégie nationale bas carbone (SNBC2). En comptant l'absorption par des puits de carbone (en admettant sa stabilité autour de 20 MtCO2e/an), le résultat est moins satisfaisant : 352,2 MtCO2e, contre un budget net de 353 MtCO2e. Les puits de carbone n'ayant pas été à la hauteur des attentes de la SNBC.
Cette dissonance, entre émissions brutes et nettes, se ressent d'autant plus sur le temps long. En brut, le total des émissions sur la période 2019 à 2023 se chiffre à 1998,7 MtCO2e, soit 100 MtCO2e de moins que le budget carbone. En revanche, en net, celui-ci est dépassé de 15,5 MtCO2e. Même chose en moyenne sur la période : 399,7 MtCO2e/an en émissions brutes, contre un budget moyen de 419,8 MtCO2e/an ; et 380,1 MtCO2e/an en émissions nettes, contre 377 MtCO2e/an dans le budget moyen.
Cependant, la troisième SNBC, dont la consultation publique se fait attendre, mise, a priori, sur des budgets bien plus serrés pour satisfaire les objectifs européens du « Fit-for-55 » d'ici à 2030. Le rythme de réduction envisagé serait en moyenne de 14,7 à 16,1 MtCO2e/an, bien plus que les quelque 9,4 MtCO2/an économisés chaque année entre 2019 et 2022.
Une performance conjoncturelle ?
“ Le décalage se creuse entre les efforts d'adaptation fournis, d'une part, et les besoins et les vulnérabilités, d'autre part ” - Haut Conseil pour le climat
Ensuite, du côté des secteurs émetteurs, la baisse s'est vraiment généralisée en 2023, mais pas nécessairement du fait d'un effort structurel. « Au moins un tiers de cette réduction est attribuable à des facteurs conjoncturelles : la reprise de l'activité du parc nucléaire après de nombreux arrêts en 2022, une baisse des activités industrielles et des transports de marchandises du fait de l'inflation des prix de l'énergie et une diminution continue du cheptel bovin », explique Corinne Le Quéré, climatologue et présidente du HCC.
Dans les transports par exemple, qui représentent encore un tiers des émissions, l'électrification des mobilités est « en bonne voie », mais le report modal vers les transports collectifs « manque d'investissements » et la motorisation alternative des poids lourds « n'évolue quasiment pas ». Selon le HCC, pour suivre les prochains budgets de la SNBC3, il faudrait « tripler » le rythme annuel de baisse des émissions du secteur.
D'autres secteurs pâtissent de ce manque de mesures à long terme, comme le bâtiment. « Les aides centrées sur les monogestes génèrent certes des baisses à court terme, mais au détriment d'une isolation nécessaire ; tandis que la hausse des aides publiques à la rénovation pour l'année 2024 a déjà subi des annulations de crédits. »
Situation similaire dans le domaine de l'énergie dont la « trajectoire est encourageante, mais souffre du décalage des calendriers législatifs », notamment celui de la prochaine Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). De plus, pour le HCC, « la relance d'un programme nucléaire comporte des incertitudes industrielles qui font peser des risques sur la disponibilité de suffisamment d'électricité décarbonée d'ici à 2035 ». Et ce, alors que la sortie du gaz naturel, dernière énergie fossile majoritaire dans le mix énergétique français, ne bénéficie toujours pas « de stratégie précise » et se heurte au développement « incohérent » du gaz naturel liquéfié (GNL), en référence aux imports américains.
Une action climatique à « institutionnaliser »
Quant aux ressources naturelles d'absorption des gaz à effet de serre, leur état fragile continue d'inquiéter le HCC. « Le soutien public reste insuffisant alors qu'il est urgent de mettre en place un plan national de renouvellement forestier pour le stockage du carbone », là encore en écho au futur Plan national d'adaptation au changement climatique (Pnacc). Pour rappel, en avril dernier, l'instance consultative avait rappelé au Gouvernement l'urgente nécessité de publier ce document, ainsi que la SNBC et la PPE, pour donner le plus de visibilité possible sur la planification écologique.
De manière générale, le HCC constate bien des avancées politiques de nature à « institutionnaliser » l'action climatique. Mais il regrette l'absence d'un cadre, notamment un programme pluriannuel de financement, pour les consolider et éviter les risques actuels de recul.
Un nouveau chapitre pour le HCC
Le mandat des douze membres actuels arrivera à son terme le 24 juin. Désignée par décret en juin 2019, cette mandature (moins Magali Reghezza, qui a rejoint la Cour des comptes en 2023) aura animé les cinq premières années de l'instance créée par la loi sur l'énergie et le climat (LEC) de 2019. L'article L132-4 du code de l'environnement laisse la possibilité de renouveler une fois le mandat de chaque membre. Néanmoins, le 16 mai, Corinne Le Quéré, la climatologue franco-canadienne occupant la fonction de présidente, a annoncé qu'elle n'envisageait pas de second mandat.
Le 19 juin, à la veille de la publication du présent rapport, le Premier ministre, Gabriel Attal, a signé un décret nommant les membres du HCC pour les cinq années à venir. Le vice-président de l'Institut national de recherche agronomique (Inrae) et membre de la précédente mandature, Jean-François Soussana, est nommé au poste de président. Du reste, huit mandats ont été renouvelés (dont ceux de Jean-Marc Jancovici, Valérie Masson-Delmotte et Laurence Tubiana), auxquels s'ajoutent quatre nouveaux membres : Paul Leadley, écologue à l'université Paris-Saclay ; Goneri Le Cozannet, chercheur au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) ; Selma Mahfouz, ex-inspectrice générale des Finances et actuelle co-directrice du nouvel Institut mutualiste pour l'environnement et la solidarité du groupe Crédit Mutuel ; ainsi que Diane Strauss, directrice de la branche française de l'ONG Transport & Environnement. De leur côté, Alain Grandjean, cofondateur du cabinet Carbone 4, et Katheline Schubert, économiste à la Sorbonne et membre du Conseil d'analyse économique (CAE) quittent donc le HCC.
1. Télécharger le rapport annuel pour 2023 du HCC
Félix Gouty / actu-environnement