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Réchauffement climatique : les records s'accumulent mais l'action politique patine
18/11/2024
En 2023, l'Europe a connu les plus vastes incendies jamais enregistrés. © Vladimir Melnikov
Que ce soient les climatologues, le programme Copernicus, l'OMM ou même l'OCDE, tous constatent les maigres progrès réalisés pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Cette lente décarbonation du monde reste insuffisante face à l'urgence.
Quel qu'en soit l'auteur, le discours ne varie pas : l'urgence climatique est déjà là, mais elle n'est pas près d'être apaisée. Alors que la 29e Conférence des Parties de la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique (Cnucc) bat son plein à Bakou, en Azerbaïdjan, depuis le lundi 11 novembre, de nombreux rapports académiques et institutionnels se croisent et se ressemblent, confirmant la réalité du réchauffement en cours. Rien qu'en 2023, l'Agence européenne de l'environnement (AEE) rappelle que « l'Europe a connu les plus vastes incendies jamais enregistrés, certaines des précipitations annuelles les plus importantes depuis le début des relevés, d'intenses vagues de chaleur marines, des inondations généralisées aux conséquences dévastatrices et une hausse continue des températures ».
2024, l'année la plus chaude ?
« Durant ces seize derniers mois, la température moyenne au niveau mondial a surpassé tout ce qui avait pu être mesuré auparavant, et souvent de loin », souligne l'Organisation météorologique mondiale (OMM) dans son dernier rapport annuel (1) . Rien qu'entre novembre 2023 et octobre 2024, la température mondiale a augmenté d'environ 1,62 °C au-dessus des moyennes préindustrielles (1850-1900), également selon les données du Programme européen Copernicus. « Il est désormais pratiquement certain que l'année 2024 sera la plus chaude jamais enregistrée, abonde les coordinateurs de Copernicus. Pour l'éviter, il faudrait que l'anomalie moyenne de température pour le reste de l'année soit quasiment nulle. »
“ Il est désormais pratiquement certain que l'année 2024 sera la plus chaude jamais enregistrée ” -Copernicus
Et, là encore, les émissions de gaz à effet de serre issues des énergies fossiles demeurent les principales coupables. « Avant les années 1960, la déforestation représentait la principale source anthropique d'émissions de carbone dans l'atmosphère mais depuis, 90 % des émissions de carbone dues aux activités humaines proviennent de la consommation des énergies fossiles », rappelle Philippe Ciais, directeur de recherche au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (LSCE). Ce dernier fait partie des 119 chercheurs, de dix-neuf pays différents, participant au Projet mondial sur le carbone (GCP), une initiative académique mettant chaque année à jour les connaissances scientifiques sur les émissions de dioxyde de carbone (CO2). Et d'après leur dernier état des lieux (2) , présenté le 13 novembre, « aucun pic apparent d'émissions fossiles à l'échelle mondiale n'apparaît à l'horizon ».
Le chemin vers le 1,5°C se transforme en falaise
Évolution des émissions annuelles de CO2 de 1960 à 2024. © Friedlingstein et al. 2024
En 2023, la concentration moyenne du CO2 dans l'atmosphère atteint désormais 420 parties par million (ppm), en hausse de 151 % par rapport au début de l'ère industrielle. Mais en un an, les émissions de CO2 d'origine fossile (et donc anthropiques) ont « seulement » augmenté de 1,3 % et ne devrait s'accentuer « que » de 0,8 % en 2024. « Globalement, le monde va dans la bonne direction, indique Pierre Friedlingstein, directeur de recherche au Laboratoire de météorologie dynamique (LMD) et coordinateur de l'étude de référence. Même dans les pays les plus émetteurs, la hausse annuelle de leurs émissions s'avère moins forte que pendant la décennie précédente. Malheureusement, cette décarbonation ne s'accélère pas suffisamment vite. » La faute, notamment, à de nombreuses disparités. En 2023, les émissions fossiles de l'Inde ont augmenté de 8 % en un an, tandis que celles de l'Union européenne ont baissé dans la même proportion. Celles de la Chine, encore accro au charbon à 75 %, ont par exemple augmenté de 4,9 %, mais devrait entamer un ralentissement (+0,2 %) en 2024, grâce au déploiement massif d'énergies renouvelables et à l'électrification de son parc automobile (comptant environ 20 % de véhicules électriques, contre 2,5 % en France).
Le hic, c'est que la capacité de la planète a absorbé naturellement le carbone atmosphérique s'affaisse. Si la chaleur et la sécheresse du phénomène météorologique El Niño, démarré en mai 2023 et dissipé en juin 2024, devrait avoir « mis un couvercle sur la remontée des eaux profondes » et ainsi permis aux océans « de limiter leur dégazage naturel du carbone », les puits forestiers continentaux s'en trouvent affaiblis. D'autant que, même s'il est en baisse depuis plusieurs décennies, le poids de la déforestation est reparti à la hausse en 2024. « Nous arrivons à la quantifier en examinant les images satellites traduisant des incendies de forêt provoqués volontairement pour développer l'activité agricole, explique Philippe Ciais. Cette déforestation est particulièrement prégnante dans les zones tropicales, au Brésil, en Indonésie et en République du Congo. »
Résultat des courses : le « budget mondial de carbone » est devenu « ridiculement faible ». Sur les 2 650 milliards de tonnes de CO2 (GtCO2) que la planète peut se permettre d'émettre (à compter de la fin du XIXe siècle) pour avoir une chance sur deux de limiter le réchauffement à 1,5 °C sur la durée, les chercheurs estiment qu'il n'en reste aujourd'hui que 235. Si l'économie mondiale continue d'émettre 37,4 GtCO2 par an (comme ce qu'elle devrait émettre en 2024), elle aura dépassé son budget dans six ans. « Restreindre le réchauffement à 1,5 °C ne ressemble plus à une pente mais à une falaise », conclut Philippe Ciais. Cela étant, la climatologue argentine Celeste Saulo, secrétaire générale de l'OMM, insiste : « Même si les moyennes mensuelles ou annuelles surpassent le +1,5 °C, cela ne veut pas dire que nous avons déjà échoué à respecter l'Accord de Paris. Les températures mesurées à ces fréquences peuvent également varier au gré de phénomènes comme El Niño et La Niña et ne reflètent pas exactement le seuil fixé par l'Accord de Paris, qui entend limiter le réchauffement à 1,5 °C sur plusieurs décennies. »
Une action politique insuffisante
L'UE est presque sur la bonne voie
En amont de la COP 29 de Bakou, la Commission européenne et l'Agence européenne de l'environnement (AEE) ont également dressé un état de lieux de la situation climatique du Vieux Continent. Celles-ci confirment la baisse de 8,3 % des émissions nettes de gaz à effet de serre en 2023 par rapport à 2022. « Cette chute est principalement due à une réduction drastique de la consommation de charbon et au déploiement de nouvelles énergies renouvelables, accompagnés d'un effet de sobriété dans toute l'Europe », commente l'AEE. Une chute provenant donc surtout des secteurs soumis au système d'échange de quotas d'émission (SEQE), lesquels cumulent une baisse de 16,5 % en 2023. Et autrement dit, depuis 1990, le produit intérieur brut (PIB) des pays de l'UE a augmenté de 68 % tandis que leurs émissions ont baissé de 37 %. Cependant, les stratégies de décarbonation des États membres n'atteignent pas tout à fait la cible du « Fit-for-55 » (soit -55 % en 2030 par rapport à 1990). Mises en œuvre ensemble, elles ne réduiraient les émissions « que » de 43 à 49 %.
Pourtant, les politiques climatiques des gouvernements ne sont toujours pas en phase avec cette perspective. Comme le soulignait déjà le dernier rapport « Emission Gap » des Nations unies, il existe encore un déficit d'ambition entre ce qu'entendent faire les différents pays du monde, à travers leurs contributions déterminées au niveau national (CDN), et ce qui est nécessaire pour maintenir le cap à +1,5 °C en 2100.
L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a également produit sa propre analyse (3) à ce sujet. Les équipes de son programme international d'action sur le climat (Ipac) ont passé en revue le volume des politiques publiques des 51 pays membres (hormis les États-Unis) et des pays partenaires de l'OCDE. Conclusion : en 2023, le volume de l'action climatique n'a augmenté que de 2 % en un an. Avant la crise sanitaire du Covid-19, ce volume augmentait généralement de 10 % par an – en particulier, dans les transports, l'industrie ou la construction. « Au vu de la lenteur de l'expansion de l'action publique face au changement climatique, le risque est que les pays n'atteignent pas les objectifs inscrits dans leurs CDN, estime l'OCDE. En outre, l'action climatique pourrait ne pas être bien alignée pour tous les secteurs émetteurs. Par exemple, bien que le transport représente la plus grande part des émissions imputables aux énergies dans les pays de l'OCDE, l'action climatique dans ce domaine arrive en avant-dernière position. » Par ailleurs, pour l'instant, moins de trente pays ont inscrit l'objectif de neutralité carbone dans leur législation.
1. Télécharger le rapport de l'OMM
3. Télécharger le rapport de l'OCDE
Félix Gouty / actu-environnement