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Dans les Pyrénées-Orientales, le « plan eau » épargne les prélèvements agricoles

26/08/2024

Dans les Pyrénées-Orientales, le « plan eau » épargne les prélèvements agricoles


Face à la sécheresse, le « plan de résilience pour l’eau dans les Pyrénées-Orientales » mise sur des équipements coûteux pour mobiliser la ressource. Et fait l’impasse sur le sujet principal, la maîtrise des prélèvements agricoles.

Le département des Pyrénées-Orientales n’en peut plus de la sécheresse qui l’éprouve depuis deux ans, nourrissant un mécontentement qui a sans doute contribué au raz-de-marée de l’extrême droite aux élections européennes et législatives, encore plus net qu’aux scrutins précédents.

Depuis le printemps, 50 communes (soit 35 000 habitants) sont en tension, dont douze partiellement ou totalement privées d’eau potable. La production agricole, jusque-là dynamique, subit des pertes. Elles sont estimées, pour l’année passée, à 50 % dans le maraîchage, 30 % dans l’arboriculture et la viticulture, sans compter la chute de la production de miel et l’impossibilité de produire du fourrage et des céréales pour les élevages.

Plus grave, la ressource s’épuise. Les nappes souterraines sont au plus bas. Le barrage de Caramany et l’immense retenue de Villeneneuve-de-la-Raho étaient déjà à moitié vides fin mai. Des cours d’eau, comme l’Agly, s’assèchent. Quant aux sols, ils étaient, selon Météo France, « extrêmement secs » avant l’accalmie offerte par les pluies printanières.

Un plan d’action mal calibré

Face au désastre, le 22 mai dernier, Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique, annonçait un « plan de résilience pour l’eau dans les Pyrénées-Orientales ». Au terme d’une mission d’inspection interministérielle et d’une concertation avec les acteurs locaux, il a affiché son ambition de faire de ce territoire « un démonstrateur d’adaptation au changement climatique ».

Sous ces mots ronflants se cache un plan d’action qui vise d’abord à résoudre les difficultés accumulées dans le département. D’abord, les fuites sur les réseaux d’eau potable. Treize collectivités ont un rendement de 50 % seulement (soit la moitié de l’eau perdue avant d’arriver au robinet) alors que l’objectif est de 85 %. Des travaux sont déjà prévus, en plus de ceux engagés dans quatre collectivités.

Dans le seul secteur d’Ille-sur-Têt, cela représenterait une économie de 100 000 m3. Mais ces efforts ne suffiront pas, car « de nombreux réseaux sont vétustes et il reste à faire un gros travail d’investigation pour identifier les fuites, beaucoup n’étant pas faciles à détecter », pointe Régis Taisne, responsable du cycle de l’eau à la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR).

Autre insuffisance : la gouvernance de la ressource. Le plan envisage le transfert systématique des réseaux d’eau potable aux intercommunalités et la création de schémas de gestion là où ils n’existent pas encore.

Quant aux dizaines de kilomètres de canaux qui pompent dans les fleuves pour alimenter les réseaux d’irrigation agricole de la plaine du Roussillon, l’objectif est d’unifier leur gouvernance, jusqu’ici confiée à 200 associations syndicales autorisées (ASA), et de les équiper en outils de gestion et de mesure des prélèvements, quasi inexistants jusqu’ici. Il en est aussi attendu un meilleur entretien des canaux.

« Comme ils sont fuyards, on prélève des quantités excessives dans les cours d’eau pour que leur débit soit suffisant », relève Simon Popy, président de France nature environnement Occitanie-Méditerranée (FNE Ocmed).

Il s’agit également de recourir à la réutilisation des eaux usées traitées (Reut). Soit un volume de 2,7 millions de m3 à récupérer dans trois communes du bord de mer : Canet-en-Roussillon (métropole de Perpignan), Saint-Cyprien et Argelès-sur-Mer.

Ce qui exige au préalable de renforcer les traitements dans les stations d’épuration et créer des réseaux de transfert, au besoin sur plusieurs kilomètres, pour acheminer les eaux traitées jusqu’aux voiries, espaces verts ou agricoles…, voire des golfs.

« La question du modèle économique n’a jamais été abordée », critique Régis Taisne, qui rappelle, outre le coût élevé de la Reut, que « ce n’est pas aux collectivités de payer le stockage et le transport des eaux traitées pour d’autres usagers ».

Le projet est aussi contesté par la Confédération paysanne 66, inquiète de la qualité insuffisante de ces eaux traitées pour l’agriculture et d’un prix qui pourrait être rédhibitoire.

Pour l’agriculture, le plan prévoit en priorité l’aménagement de retenues et réseaux d’irrigation dans les secteurs les plus secs (Agly aval et Aspres), réclamés par les agriculteurs de la FDSEA et les vignerons, ainsi que la création d’un adducteur qui amènerait l’eau du barrage de Vinça jusqu’à la retenue de Villeneuve-de-la-Raho. Des chantiers financés principalement par les collectivités.

Le point noir des forages clandestins

Reste un point noir : les milliers de forages clandestins, agricoles, domestiques ou destinés à des campings, dont ceux faits secrètement en 2023 pour échapper aux restrictions imposées par la préfecture, avec des risques de pollution des nappes souterraines si les ouvrages sont mal faits.

Ils seront régularisés et des compteurs seront posés, indique la feuille de route ministérielle, qui prévoit par la suite de « mettre en cohérence les autorisations existantes pour assurer le retour à l’équilibre quantitatif », sans préciser quel serait ce volume. « On va acter ce qui existe, en donnant la prime à ceux qui ont fait des forages en toute illégalité », commente l’expert de la FNCCR.

Malgré tout, la volonté de mesurer précisément les consommations est une avancée. Car personne ne sait quelle est la quantité réelle d’eau douce prélevée dans ce département.

Certainement bien plus que les 300,4 millions de m3 officiellement estimés en 2021. Seul fait connu : l’agriculture en capte la majeure partie (83 %), le reste allant à l’eau potable (16 %) et aux activités touristiques et industrielles (1 %).

Puiser l’eau ailleurs

A long terme, le dessein des autorités est de puiser l’or bleu ailleurs. L’Etat et la région Occitanie envisagent de prolonger jusque dans les Pyrénées-Orientales le réseau de canalisations Aqua Domitia qui pompe l’eau du Rhône pour l’acheminer dans les départements du Gard, de l’Hérault et de l’Aude. Une étude est en cours et devrait être rendue publique fin 2025.

Si ce projet voyait le jour, il ne serait pas opérationnel avant dix ans, au prix d’un investissement de quelques centaines de millions d’euros. D’ici là, le changement climatique le rend incertain. En plus de diminuer le débit du Rhône et d’augmenter la salinité de son delta, le réchauffement accroît les besoins en eau des territoires qu’il traverse, de la Suisse jusqu’à la Provence.

Quant à maîtriser la demande, on en reste au stade des intentions. En plus des « économies d’eau », évoquées sans plus de précisions, un « plan agriculture méditerranéenne », destiné à adapter celle-ci au changement climatique, doit être mis à l’étude.

Or, « l’excès des prélèvements se fait aux dépens des milieux naturels », rappelle Simon Popy, obligé encore aujourd’hui d’en appeler aux tribunaux pour préserver les cours d’eau, les zones humides, ou lutter contre l’urbanisation continue.

D’autant que du volume des prélèvements dépend la qualité sanitaire des milieux aquatiques : en période de sécheresse, plus leur niveau se réduit, plus se concentrent bactéries et micropolluants. Un sujet ignoré par la feuille de route ministérielle.

Des financements a minima

Pour prendre le tournant d’une agriculture nettement moins consommatrice d’eau, encore faudrait-il s’en donner les moyens. L’agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse n’a annoncé qu’une enveloppe de 10 millions d’euros, destinée principalement à développer la Reut et les outils pour l’irrigation. Et l’Etat, rien de plus que des financements pour les études.

« Les moyens ne sont pas à la hauteur, déplore Nicolas Garcia, président du syndicat des nappes du Roussillon, qui aurait préféré un plan bien doté pour la transition écologique. Il faut aider les agriculteurs à passer à l’agroécologie et l’agroforesterie, nettement plus économes en eau et capteurs de CO2 », plaide-t-il.

« L’approche est techno-solutionniste, elle privilégie la création de tuyaux, de retenues, au lieu de valoriser les solutions fondées sur la nature », abonde Jérôme Suszek, de la Confédération paysanne 66. Une approche qui n’est pas vraiment dans les préoccupations du RN, grand vainqueur des législatives dans les Pyrénées-Orientales.

Solange de Fréminville / alternatives-economiques


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