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Décarbonation de l'industrie : une progression biaisée, selon le RAC

24/07/2024

Décarbonation de l'industrie : une progression biaisée, selon le RAC

Les émissions de CO2 de la pétrochimie n'ont baissé que de 1,8 %.    © NANCY

D'après le Réseau Action Climat, la baisse des émissions industrielles reste le fait du contexte économique. Pour se décarboner, le secteur a besoin d'une aide substantielle, d'offrir plus de garanties et d'éviter les investissements malavisés.

Si les émissions de gaz à effet de serre de l'industrie en France ont baissé en 2023, ce n'est pas du fait de la volonté politique mais bien de la conjoncture économique. Tel est l'enseignement principal du nouveau rapport (1) du Réseau Action Climat (RAC), publié ce mardi 16 juillet, sur les cinquante sites industriels les plus émetteurs de France.

Le biais conjoncturel

D'après le Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (Citepa), les émissions de l'industrie ont chuté de 7,8 % entre 2022 et 2023, soit encore davantage que l'année précédente (- 6,4 %). À titre de comparaison, les émissions nationales ont, quant à elle, enregistré une baisse de 5,8 %. Le secteur industriel a représenté 17,5 % des émissions nationales (contre 20 % en 2022) et ses cinquante sites les plus imposants, 7,3 % (contre 10 % en 2022). Pourtant, atteste le RAC, « cette réduction repose pour moitié sur la baisse de la production de produits tels que le ciment et l'acier ». Aussi, pour le collectif d'associations environnementales, « l'industrie doit encore prouver que sa décarbonation est engagée et pérenne ». Surtout face à l'ambitieux objectif préconisé par le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE) : réduire les émissions industrielles de 36,5 % d'ici à 2030, par rapport à 2023.

Pour commencer, cette décarbonation apparente du secteur n'est pas uniforme. En 2023, les filières de l'acier et du ciment ont vu leurs émissions chuter respectivement de 14 % et 7 %, tandis que pour la pétrochimie, elles n'ont baissé que de 1,8 %. Certains sites de cette filière ont même enregistré une hausse de leurs émissions : de 3,8 % pour l'usine Lyondell Chimie à Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône), 9,8 % pour la raffinerie de TotalEnergies à Gonfreville (Seine-Maritime) et même 42 % pour l'usine de LAT Nitrogen au Grand-Quevilly (Seine-Maritime).

L'État a un rôle important à jouer pour limiter le surcoût "vert" et donner une visibilité à long terme aux industriels quant à la rentabilité de tels investissements ” - RAC

Pour le reste de l'industrie lourde, l'inflation des prix de l'énergie (et, avec eux, des matières premières) et le ralentissement du secteur de la construction, s'ajoutant à de fortes concurrences chinoise et indienne, ont entraîné une baisse de la production de ciment et d'acier, allant jusqu'à 18,5 % en un an pour ce dernier. De quoi renforcer considérablement la baisse des émissions observée depuis la crise sanitaire de 2020 et l'arrêt partiel des activités industrielles. En 2023, les émissions de gaz à effet de serre des usines sidérurgiques d'ArcerlorMittal ont par exemple chuté de 30 à 40 % à Florange (Moselle), à Dunkerque (Nord) et à Fos-sur-Mer, par rapport à 2019.

Un manque de garanties

Cette décarbonation demeure donc principalement involontaire. Pourtant, pour le RAC, l'année 2023 aurait pu être « décisive ». « À la demande d'Emmanuel Macron en novembre 2022, comme condition au doublement de leur aide publique à dix milliards d'euros d'ici à 2030, les cinquante sites les plus émetteurs de dioxyde de carbone (CO2) de France ont travaillé avec l'État pour élaborer leurs trajectoires de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le but d'atteindre les objectifs de la future Stratégie nationale bas carbone (SNBC 3), rappelle le RAC. Mais, au grand dam des organisations de la société civile, seuls les contrats de transition écologique (CTE), version tronquée des feuilles de route, ont été rendus publics (et) les industriels n'ont aucune obligation de les respecter. » D'autant que certaines entreprises « n'ont pas publié de contrats et d'objectifs pour chaque site mais se sont contentés de publier un contrat à l'échelle de l'entreprise, laissant ainsi planer des incertitudes sur l'avenir de certains de leurs sites industriels » – et notamment des salariés.

Le collectif prend pour exemple l'aide publique de 850 millions d'euros accordée à ArcelorMittal en janvier dernier pour décarboner son site de Grande-Synthe (Nord). Aide à laquelle il manque, toujours selon le RAC, des « garanties solides » comme de « respecter sa stratégie de décarbonation, fixer une date d'arrêt des hauts fourneaux au charbon (y compris à l'étranger) ou éviter toute situation de "verrouillage carbone" (en investissant dans la rénovation des hauts fourneaux ou le captage des émissions des hauts fourneaux) ».

Éviter le « surcoût vert »

Le RAC conserve, en cela, deux points de vigilance : sous-estimer le coût de la décarbonation et s'orienter vers des investissements malavisés. L'Institut Rousseau, groupe de réflexions cofondé par l'économiste Nicolas Dufrêne, évalue effectivement le coût de la décarbonation à 48 milliards d'euros d'ici à 2050, soit plus du double des estimations du SGPE. Cette enveloppe comprend 20 milliards d'euros de subventions publiques « à l'investissement vert industriel ». Car, d'après l'Institut Rousseau, il faut couvrir ce qu'il appelle le « surcoût vert » : « Produire vert dans l'industrie coûte significativement plus cher que produire carboné :  jusqu'à + 20 % pour l'acier, entre 20 et 43 % pour les plastiques et 70 à 115 % pour le ciment. L'État a donc un rôle important à jouer pour limiter ce surcoût "vert" et donner une visibilité à long terme aux industriels quant à la rentabilité de tels investissements. »

Ces investissements, insiste le RAC, doivent cependant s'adosser à des écoconditionnalités, en instaurant par exemple des audits énergétiques préalables et de suivi, ou en obligeant à relocaliser certaines activités pour bénéficier d'un mix énergétique plus décarboné. Et ce, en cohérence avec la nouvelle réglementation européenne, comme la fin des quotas carbone gratuits d'ici à 2034 et la mise en place d'une taxe carbone aux frontières dès 2026.

Le mirage du captage de carbone ?


Faiblesse face à la pollution industrielle

En France, l'industrie n'est pas seulement un poste important d'émissions de gaz à effet de serre, elle reste aussi responsable de nombreuses pollutions dont les dommages se sont élevés à 15,5 milliards d'euros en 2021. Dans son rapport, le RAC souligne néanmoins une baisse progressive du nombre d'inspections et de contrôles (mais aussi d'inspecteurs), d'environ 30 % en quinze ans. « En 2022, moins de 23 000 inspections ont été réalisées pour les 500 000 installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) du secteur. » Et le RAC d'ajouter que sur les six sites industriels en « vigilance renforcée », seulement deux ont respecté leurs objectifs de mise en conformité en 2023. En outre, le collectif regrette la faiblesse des amendes pour les industriels sanctionnés, prenant pour exemple la condamnation d'ArcelorMittal en 2021 : 30 000 euros d'amende (pour 36 infractions de rejet de polluants), soit 0,05 % de son chiffre d'affaires.

Dans son rapport, le collectif craint également la propension des industriels à délaisser une transformation par la sobriété et l'économie circulaire, au profit de technologies d'appoint, comme le captage du CO2 (ou CCS). Et il en souligne de nombreuses limites. D'une part, le RAC explique que cette technologie n'est pas encore mâture. « En France, un seul site de captage de carbone est opérationnel, il s'agit du projet Cryocap en Normandie dont le potentiel de captage est cependant limité à 0,1 million de tonnes de CO2 par an. »

D'autre part, le coût global du captage, du transport et du stockage reste très élevé : entre 60 et 150 euros par tonne de CO2 captée, sans compter les centaines de millions d'euros de l'investissement initial. À quoi s'ajoutent la demande énergétique d'un tel pari (entre 20 et 40 térawattheures par an d'électricité renouvelable pour viser la capture de 4 à 8 millions de tonnes de CO2 par an en 2030), la demande en eau (1,71 à 4 mètres cubes par tonne de CO2 captée) et la pollution éventuelle, due à l'utilisation indispensable de solvants. Sans parler du risque de fuites de CO2 sur les sites de stockage, pour lesquels l'organisation d'un débat public reste nécessaire pour le RAC. En somme, « le captage de carbone doit être évité au maximum, et sinon utilisé qu'en dernier recours, pour réduire les émissions résiduelles qui ne peuvent être supprimées ou évitées, une fois les autres solutions de décarbonation déployées ».

Mise en consultation en juin 2023, la stratégie nationale sur le CCS n'a pas encore été publiée. Le 4 juillet dernier, le Gouvernement en place a néanmoins publié un document intermédiaire sous forme d'un « état des lieux (2)  » du développement de la technologie en France. Il y soutient le déploiement des premières installations en zones industrielles dès l'horizon 2030 avec pour but, à terme, de capter entre 30 et 50 millions de tonnes de CO2 par an en 2050.

1. Télécharger le rapport du RAC

2. Consulter l'état des lieux du CCS en France

Félix Gouty / actu-environnement


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